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samedi 29 janvier 2011

El maestro de esgrima, Arturo Pérez-Reverte

Antes de salir de casa se había acicalado con esmero, resuelto a causar buena impresión en la que, sin duda, era madre de un futuro alumno. Al llegar a la puerta se arregló cuidadosamente la corbata, golpeando después la pesada aldaba de bronce que pendía en las fauces de una agresiva cabeza de león. Extrajo el reloj del bolsillo del chaleco y consultó la hora : siete menos un minuto. Aguardó, satisfecho, mientras escuchaba el sonido de unos pasos femeninos que se acercaban por un largo pasillo. Tras un rápido correr de cerrojos, el rostro agraciado de una doncella le sonrió bajo una cofia blanca. Mientras la joven se alejaba con su tarjeta de visita, entró don Jaime en un pequeño recibidor amueblado con elegancia. Las persianas estaban bajas y por las ventanas abiertas se oía el rumor de los carruajes que circulaban por la calle, dos pisos más abajo. Había testeros con plantas exóticas, un par de buenos cuadros en las paredes y sillones ricamente tapizados en terciopelo de seda carmesí. Pensó que se las iba a ver con un buen cliente, y ello le hizo sentirse optimista. No estaba de más, habida cuenta de los tiempos que corrían.
La doncella regresó al cabo de un momento para rogarle que pasara al salón tras hacerse cargo de sus guantes, bastón y chistera. La siguió por la penumbra del pasillo. La sala estaba vacía, así que cruzó las manos a la espalda e hizo un breve reconocimiento de la estancia. Deslizándose entre las cortinas semiabiertas, los últimos rayos del sol poniente agonizaban despacio sobre las discretas flores azul pálido que empapelaban las paredes. Los muebles eran de extraordinario buen gusto ; sobre un sofá inglés campeaba un óleo de firma, mostrando una escena dieciochesca : una joven vestida de encajes se columpiaba en un jardín, mirando expectante por encima del hombro, como si aguardase la inminente llegada de alguien muy deseado. Había un piano con la tapa del teclado abierta y unas partituras en el atril. Se acercó a echar un vistazo : Polonesa en fa sostenido menor. Federico Chopin. Sin duda, la poseedora del piano era una dama enérgica.

Avant de quitter la maison, il s'était pomponné avec soin, résolu à causer une bonne impression à celle qui, sans doute, était la mère d'un futur élève.
Arrivé devant la porte, il arrangea méticuleusement sa cravate, et frappa ensuite le lourd heurtoir de bronze suspendu à la gueule d'une agressive tête de lion. Il sortit de la poche de son veston sa montre et regarda l'heure : sept heures moins une minute. Satisfait, il attendit pendant que le bruit de pas féminins s'approchant dans un long couloir se faisait entendre. Après que la porte se fut rapidement déclose, le charmant visage d'une demoiselle orné d'une coiffe blanche lui sourit. Alors que la jeune femme s'éloignait, munie de la carte de visite, don Jaime entra dans un petit vestibule meublé avec élégance. Les persiennes avaient été baissées, et par les fenêtres ouvertes, on entendait le brouhaha des coches circulant dans la rue, deux étages plus bas. Des pots de fleurs abritant des plantes exotiques, deux beaux cadres accrochés au mur et des fauteuils richement habillés de velours de soie couleur carmin occupaient l'espace. Il pensa avoir affaire à un bon client et il s'en réjouit. Cela ne ferait pas de mal en ces temps qui couraient.
Au bout d'un certain moment, la demoiselle revint, et après l'avoir débarrassé de ses gants, de sa canne et de son chapeau haut de forme, elle le pria de passer au salon. Il la suivit dans l'obscurité du couloir. La salle était vide, il croisa les mains derrière le dos et fit une brève inspection de la pièce. Les derniers rayons du soleil se glissaient entre les rideaux à moitié fermés et venaient agoniser lentement sur les discrètes fleurs bleu ciel qui revêtaient les murs. Les meubles étaient d'un bon goût extraordinaire. Au dessus d'un sofa anglais, une peinture à l'huile signée, représentant une scène du XVIIIème siècle, resplendissait : une jeune fille habillée de dentelle faisait de la balançoire dans un jardin, observant avec expectation par dessus son épaule, comme si elle attendait l'arrivée imminente d'une personne vivement désirée. Un piano était là, le couvercle du clavier ouvert, des partitions sur le pupitre. Il s'approcha pour y jeter un coup d'œil : Polonaise en fa dièse mineur. Frédéric Chopin. La propriétaire du piano était, sans aucun doute, une femme énergique


jeudi 27 janvier 2011

Description d'une cerise

L'ensoleillement sans précédent de ce printemps 1872 avait rapidement effacé sa douce fleur blanche au coeur d'or, dont les pétales, bercées par une brise tiède, avaient flotté quelques minutes dans les rues désertes de Gerland avant d'atterrir sur les eaux calmes du Rhône. De cette blanche enveloppe qui avait annoncé sa naissance, elle n'avait conservé que son berceau de sépales au sein duquel elle s'était silencieusement développée pendant les premiers jours du mois de mai. À travers l'ombre du feuillage, elle s'était peu à peu libérée de ce cocon de verdure qui avec le temps était devenu trop étroit et avait offert au soleil printanier son premier visage. Elle était encore trop jeune, trop dure et trop amère pour être offerte à des papilles avides de plaisir, mais elle pouvait compter sur une exposition parfaite, un léger ombrage et une température idyllique pour s'épanouir pleinement et devenir ce petit coeur charnu qu'un passant gourmand viendrait croquer avec délectation. Autour de sa candide graine, un corps voluptueux se développait jour après jour et sa robe vermeille, dans sa jeunesse fade et terne, aujourd'hui dépoussiérée par une brise cajolante, brillait innocemment. Ce juvénile fruit ne connaissait pas encore le destin particulier que lui avait réservé la vie mais, suivant l'exemple de ses innombrables voisines, elle s'efforçait de se rendre la plus alléchante et la plus désirable afin d'être cueillie par un être qui transporterait sa frêle graine loin de son berceau originel. Elle s'offrait aujourd'hui dans toute sa beauté : son habit, d'une profonde couleur rouge aux sombres reflets, ne demandait qu'à être caressé par des mains humaines, sa chaire, débordante de générosité, était obsédée par la pensée d'une paire d'incisives mettant à nu son corps lascif et libérant les saveurs les plus profondes qu'elle avait à offrir.
C'est par une fraîche matinée de juin qu'un homme, Léonard Burlat, alors soldat en garnison dans le régiment d'artillerie de Lyon, vint à passer à ses côtés. La vue de ce sensuel fruit, révélé dans toute sa pureté et son ingénuité, provoqua chez le garçon une soudaine salivation et, obsédé par ce globe charnel, il ne put s'empêcher de tendre la main vers elle. Malgré le sauvage désir qui habitait le jeune militaire de sentir cette naïve chair se promener sur sa langue, le fruit fut détaché par une délicate caresse et un léger craquement annonça sa libération tant désirée. Elle fut placée au creux de sa main moite, écrin naturel qu'elle avait convoité pendant toute sa vie et, exposée au regard impudique de son amant, elle s'était sentie fondre. Elle avait été transportée jusqu'aux lèvres fleuries de son premier et dernier compagnon et dans un mouvement ferme et autoritaire de ses incisives, elle avait succombé au désir, offrant au palais de son adorateur les douceurs infinies que sa charnure laissait transparaître.

dimanche 23 janvier 2011

Lausana, Antonio Soler

Papa me contó que el Fresador Vila había salido de Málaga en 1937. Su padre era un fotógrafo comunista que, asustado por las barbaridades que pudieran cometer las tropas africanas al entrar en la ciudad, había montado en un carro, del que él mismo iba a tirar, un par de colchones enrollados, varios atillos de ropa, una caja de hierro con su material fotográfico, y a su hijo Jesús, que apenas tendría unos cinco o seis años y que salió de Málaga con los ojos abiertos de par en par, cubierto por una especie de abrigo de astracán y una misteriosa gorra de plato demasiado grande y que podría abarcar dos cabezas como la suya. Así lo fotografió su padre frente a las playas de El Palo el día que salían de la ciudad.
Despavorido pero serio, con un cierto aire soviético.
Le Petit Bolchevique.
Todavía conservamos esa foto que desde que la vi por primera vez ya era de color sepia y tenía los bordes comidos. A mí, ni entonces ni nunca después, me habló Jesús de aquel éxodo por la costa mediterránea, desde Málaga hasta Almería, su padre tirando del carro, volcado hacia delante, y su madre agarrada a una cuerda que colgaba de la parte trasera, como si de pronto se hubiera quedado ciega. (...)
Era a Papa a quien le contaba sus recuerdos difusos de entre los que sobresalían algunas imágenes nítidas, como su padre avanzaba entre una multitud cargada con las cosas más extrañas y que caminaba con las tropas republicanas, y como aquella gente se convertía en un hormiguero alocado, roto por el zapato de un niño, cuando a lo lejos se oía el zumbido de los aviones franquistas.

Papa m'a raconté que le Fraiseur Vila était sorti de Malaga en 1937. Son père était un photographe communiste qui, effrayé par les atrocités que pourraient commettre les troupes africaines en entrant dans la ville, avait installé dans une charrette, qu'il allait lui-même tirer, deux matelas enroulés, plusieurs balluchons de vêtements, une boîte en fer contenant son matériel de photos, ainsi que son fils Jesús, qui avait cinq ou six ans à peine et qui sortit de la ville les yeux grand ouverts, habillé d'une espèce de manteau d'astrakan et d'un mystérieux béret trop grand qui aurait pu recouvrir deux têtes comme la sienne. C'est comme cela que l'a photographié son père, face aux plages de El Palo, le jour où ils sont sortis de la ville.
Épouvantés, mais sereins, avec un petit air soviétique. Le Petit Bolchévique.
Nous conservons encore cette photographie qui, la première fois où je l'ai vu, était déjà de couleur sépia et avait les côtés rognés. Ni à cette époque, ni jamais par la suite, Jésus n'a parlé avec moi de cet exode le long de la côte méditerranéenne, de Málaga à Almería, son père menant la charrette, penché vers l'avant, et sa mère accrochée à une corde attachée à l'arrière du véhicule, comme si elle était devenue soudainement aveugle. (...)
C'était à Papa qu'il racontait ses souvenirs flous d'entre lesquels émergeaient quelques images nettes : comment son père avançait au milieu d'une foule chargée des choses les plus étranges et marchait avec les troupes républicaines ou bien comment cette multitude se transformait en une fourmilière affolée, détruite par la chaussure d'un enfant, lorsque se faisait entendre, au loin, le vrombissement des avions franquistes.

vendredi 21 janvier 2011

Luna azul, Francine L. Zapater

Llegamos tarde a la primera clase. “Genial” pensé. El primer día de curso y ya estábamos ganándonos la simpatía del profesor de química, el señor Morganson. Definitivamente hoy no debería haberme levantado. 
Dejó de hablar cuando entramos en clase, acompañándonos con su rabiosa mirada, mientras esperaba a que tomáramos asiento en nuestros respectivos pupitres, acrecentando así la vergüenza que ya me invadía en esos momentos. Sentía una docena de pares de ojos posados sobre nosotras.
— Esto es peor que tu flequillo — susurré a mi amiga mientras
sacábamos nuestros libros y los colocábamos encima de las gastadas y garabateadas mesas. Notaba mi cara enfebrecida, estaba roja como un tomate. Odiaba ser el centro de atención, pero hoy iba a ser difícil pasar desapercibida después de nuestra entrada triunfal. Tarde y con Beth a mi lado, luciendo el escandaloso pañuelo en tonos fucsia, amarillo y naranja, que le había prestado. Al final, esa había sido la mejor solución al problema de la maraña de pelo de mi amiga. Aunque ella ahora estaba encantada.

 
On est arrivées en retard au premier cours. « Gé-nial », je me suis dit, le tout premier jour de classe et déjà on s'attire la sympathie du professeur de chimie, monsieur Morganson. Je n'aurais définitivement pas dû sortir du lit aujourd'hui.
Quand on est entrées en classe, il s'est arrêté de parler et, tout en posant sur nous un regard hargneux, il a attendu qu'on prenne place à nos pupitres respectifs. Cela n'a fait que multiplier la honte qui m'envahissait à ce moment là. Je sentais une douzaine de pairs d'yeux qui se fixaient sur moi.
- Ça, c'est bien pire que ta mèche – susurrai-je à mon amie, pendant qu'on sortait nos livres et qu'on les déposait sur les vieilles tables toutes gribouillées.
Je sentais que ma tête me chauffait et que j'étais rouge comme une tomate. J'avais horreur d'être le centre d'attention mais aujourd'hui ça allait être dur de passer inaperçue après notre entrée triomphale : en retard et avec Beth, arborant le scandaleux fichu fuchsia, jaune et orange que je lui avais prêté. A vrai dire, c'était la meilleure solution qu'on avait trouvé pour pallier au problème de la coupe de cheveux de mon amie. Mais alors elle, de son côté, elle en était ravie.
 

jeudi 20 janvier 2011

Biblioteca de los sueños, Francisco Agenjo

Las horas pasaron, y el candil iba perdiendo el combustible que le quedaba. El frío iba calando en sus huesos, hasta el punto de que Fraimundo ya comenzaba a sentir escalofríos. El sonido del viento golpeando las contraventanas tampoco ayudaba en lo más mínimo a serenar sus ánimos. Otras referencias al diablo y a hechos sobrenaturales no le dieron ninguna pista del origen de la Rosa Negra ni de los hechos referentes a la Hermana Saura. Sin embargo, sí encontró una entrada en un texto, escrita a mano por lo que parecía la letra de un hombre, que hacía hincapié en un cubículo oculto tras una estantería. Más picado por la curiosidad que por poder descubrir algo, Fraimundo corrió lo más silenciosamente que pudo la estantería cargada de libros y dejó al descubierto un mapa antiguo de Xatafi de aspecto medieval. Tras él, un hueco en la pared ocultaba varios pergaminos y misivas de los monjes y hermanas del Cerro. Algunos libros compartían el oscuro espacio con ellos, ero la mayor sorpresa fue encontrar una carta de la hermana Saura enviada al prior de la orden. En ella decía que había descubierto una extraña rosa negra que, leyendo algunos textos antiguos, parecía estar relacionada con asesinatos y hechos misteriosos durante varios períodos a lo largo de la historia del Cerro de los Ángeles. Detrás de esta carta, unidas por un clip, había otra de respuesta del prior que decía que semejante muestra de temor sobrenatural y antirreligioso no debía repetirse, y la reprendía por dejarse llevar por miedos impuros. Por último, también dentro del paquete, había una segunda carta de la Hermana Saura. El texto que en ella había escrito le puso los pelos de punta. “He seguido investigando. A quien lea esto, espero que le sirva de justificación por lo que voy a hacer, aunque ahora mismo sólo espero poder librar a mis hermanas del fin que el destino les ha impuesto. No he podido encontrar referencias al Diablo en ninguno de los textos que he consultado, sólo a poderes que van más allá de lo humano, lo divino o lo demoníaco. La oscuridad misma parece haber puesto un pie aquí, y cada cierto tiempo, reclama el precio del peaje que todos pagamos en la vida. Creo que todos hemos perdido ya nuestra alma, y la única forma de que mis hermanas la recuperen es que yo entregue mi vida por ellas. La primera persona que la vio.

Les heures passèrent et la lampe à huile perdait petit à petit le combustible qui lui restait. Le froid transperçait ses os, à tel point que Fraimundo commençait déjà à frissonner. Le bruit du vent frappant les contre-fenêtres ne l'aidait nullement à calmer ses esprits. D'autres références au diable et à des événements surnaturels ne lui fournirent aucune piste, ni sur l'origine de la Rose Noire, ni sur les événements faisant référence à la Sœur Saura. Néanmoins, il trouva tout de même un indice dans un texte rédigé à la main, avec, semble-t-il, une écriture masculine, qui mettait l'accent sur une pièce cachée derrière une étagère. Davantage piqué par la curiosité que par la possibilité de découvrir quoi que ce soit, Fraimundo fit glisser le plus silencieusement possible l'étagère chargée de livres et mit à jour une carte ancienne de Xatafi à l'aspect médiéval. Derrière celle-ci, un renfoncement dans le mur renfermait plusieurs parchemins et des missives des moines et des sœurs du Cerro. Quelques livres partageaient l'obscure cachette avec ces premiers, mais la plus grande surprise fut de trouver une lettre de la sœur Saura envoyée au prieur de l'Ordre. Il y était annoncé qu'elle avait découvert une étrange rose noire qui, à la lecture de certains textes anciens, semblait être en relation avec des assassinats et des événements mystérieux survenus pendant de nombreuses périodes, tout au long de l'histoire du Cerro de los Ángeles. Derrière la carte, attachée par un trombone, il y avait une lettre de réponse du prieur exigeant qu'une telle démonstration de peur surnaturelle et antireligieuse ne devait, en aucun cas, se répéter ; il la réprimandait pour s'être laissée emporter par des craintes impures. Enfin, à l'intérieur du paquet elle aussi, on trouvait une deuxième lettre de la Sœur Saura. Le texte qu'elle y avait écrit lui donna la chair de poule. « J'ai poursuivi mes recherches. J'espère que celui qui lira ceci y trouvera la justification de mes actes, bien que je ne souhaite désormais que libérer mes sœurs de la destinée qui leur a été imposée. Je n'ai trouvé aucune allusion au Diable dans les textes que j'ai consultés, seulement des références sur des forces qui vont bien au-delà de l'humain, du divin ou du démoniaque. L'obscurité même semble avoir posé un pied ici, et à des momets précis, elle réclame le prix du péage que, tous, nous payons dans la vie. Je crois que nous avons tous déjà perdu notre âme, et le seul moyen pour que mes sœurs la récupèrent, c'est que je livre ma vie pour elle. Moi, la première personne qui la vit.

mercredi 19 janvier 2011

La Sombra del Viento, Carlos Ruiz Zafón

La habitación estaba infestada de crucifijos. Pendían de la techumbre, ondeando del extremo de cordeles, y cubrían las paredes fijados con clavos. Se contaban por decenas. Podían intuirse en los rincones, grabados a cuchillo en los muebles de madera, arañados en las baldosas, pintados en rojo sobre los espejos. Las pisadas que llegaban hasta el umbral de la puerta trazaban un rastro en el polvo en torno a una cama desnuda hasta el somier, apenas ya un esqueleto de alambre y madera carcomida. En un extremo de la alcoba, bajo la ventana del tragaluz, había un escritorio de consola cerrado y coronado por un trío de crucifijos de metal. Lo abrí cuidadosamente. No había polvo en las junturas del fuelle de madera, con lo que supuse que el escritorio había sido abierto no hacía mucho. El escritorio tenía seis cajones. Los cierres habían sido forzados. Los inspeccioné uno a uno. Vacíos.
Me arrodillé frente al escritorio. Palpé con los dedos los arañazos en la madera. Imaginé las manos de Julián Carax trazando aquellos garabatos, jeroglíficos cuyo sentido se había llevado el tiempo. En el fondo del escritorio se adivinaba una pila de cuadernos y una vasija con lápices y plumas. Tomé uno de los cuadernos y lo ojeé. Dibujos y palabras sueltas. Ejercicios de cálculo. Frases sueltas, citas de libros. Versos inacabados. Todos los cuadernos parecían iguales. Algunos dibujos se repetían página tras página, con diferentes matices. Me llamó la atención la figura de un hombre que parecía hecho de llamas. Otra describía lo que hubiera podido ser un ángel o un reptil enroscado en una cruz. Se adivinaban esbozos de un caserón de aspecto extravagante, tramado de torreones y arcos catedralicios. El trazo mostraba seguridad y cierto instinto. El joven Carax mostraba las trazas de un dibujante de cierto talento, pero todas las imágenes se quedaban en esbozos.

La pièce était infestée de crucifix. Ils pendaient au plafond, se balançant au bout de cordes, et recouvraient les murs, fixés par des clous. On en contait par douzaines. On pouvait en deviner cachés dans les coins, ciselés au couteau dans le bois des meubles, gravés sur les carreaux, peints en rouge sur les miroirs. Des traces de pas, qui menaient jusqu'au seuil de la porte, avaient laissé dans la poussière des empreintes tout autour d'un lit dénudé ; même le sommier n'était rien d'autre qu'un squelette de fer et de bois vermoulu. Sur un des côtés de la chambre, sous la lucarne, se trouvait un secrétaire fermé, orné de trois crucifix de fer. Je l'ouvris précautionneusement. Il n'y avait pas de poussière sur les jointures de l'ouverture principale du meuble ; j'en conclus donc qu'on l'avait fouillé il y avait peu. Le secrétaire comptait six tiroirs. Les serrures avaient été forcées. Je les inspectai un par un. Vides.
Je m'agenouillai devant le meuble. Je passai mes doigts sur les gravures laissées dans le bois. J'imaginai les mains de Julián Carax dessinant ces gribouillages, ces hiéroglyphes dont la signification avait été emportée par le temps. Dans le fond du secrétaire, on devinait une pile de carnets et un pot rempli de plumes et de crayons. Je saisis un des cahiers et le feuilletai. Des dessins et des mots solitaires. Des exercices de mathématiques. Des phrases isolées, des citations de livres. Des vers inachevés. Tous les cahiers paraissaient identiques. Certains croquis se répétaient page après page, avec, néanmoins, des nuances distinctes. Le portrait d'un homme qui semblait constitué de feu attira mon attention. Un autre représentait ce qui aurait pu être un ange ou un reptile enroulé autour d'une croix. On discernait aussi les esquisses d'une demeure aux allures extravagantes, dominée par de grandes tours et des arches tout droit sorties de cathédrales. Le coup de crayon manifestait de la sécurité et un certain instinct. Le jeune Carax montrait tous les signes d'un dessinateur talentueux, mais aucun des ses travaux ne dépassaient le stade d'esquisse.


mercredi 12 janvier 2011

À travers les yeux de mon chat


Alors que la vie abandonne progressivement chaque centimètre de mon corps, moi qui n'ai jamais écris une lettre à personne, je ressens le besoin, aujourd'hui, de laisser au triste monde le témoignage de mon existence, aussi insignifiante soit elle. Cette lettre qui ne sera peut être jamais lue sera la première et la dernière à contenir mes mots, la voici :

Je suis sortie du ventre maternel lors de l'exil provoqué par la guerre et ma mère, qui est restée pour moi toutes ces années une inconnue, m'a laissée, après m'avoir mise au monde, au bon soin des religieuses du couvent de Sommedieu. La guerre l'y a poussée et je ne lui en ai jamais voulu. Les quelques témoignages des survivants que j'ai pu entendre au cours de ma vie m'ont fait rapidement comprendre qu'elle y avait été forcée et j'imagine que c'est à contrecoeur, désirant offrir à son enfant un avenir meilleur, qu'elle l'a fait.
Les religieuses qui m'ont recueillie m'ont élevée comme elles le pouvaient et avec les moyens dont elles disposaient. Elles ont pris soin de moi toute mon enfance et, entre les prières et les messes, elles m'ont appris à lire, à écrire et à compter, apprentissage que toutes les femmes de ma génération n'ont pas eu la chance de recevoir. Je garde de cette époque un souvenir impérissable. Les jours défilaient, partagés entre l'austérité du cloître et les fous rires étouffés des dortoirs, les saisons s'enchaînaient offrant à nos yeux ébahis un spectacle qui nous ravissait et les années de mon enfance coulaient aussi paisiblement qu'un mince ruisseau dans la plaine. À l'âge de 16 ans, les sœurs m'ont proposé de revêtir la soutane pour le restant de mes jours : j'ai, sans hésitation aucune, refusé. J'ai laissé derrière moi les visages ruisselants de larmes de mes amies, fuit le cloître rassurant qui m'avait vu grandir et abandonné la paisible serenité qui émanait de la campagne environnante. Moi qui n'avait rien connu d'autre que ces murs de pierre vieux de six cents ans, je ne pouvais concevoir l'idée d'y demeurer enfermée jusqu'à ma mort. Et c'est avec mon maigre savoir et un léger bâluchon sur l'épaule que j'ai parcouru, tantôt à pied, tantôt en train, les nombreux kilomètres qui me séparaient alors de ma destination : Paris. C'est le coeur joyeux que je suis entrée dans la capitale le 17 juillet 1933, à trois heures de l'après-midi. La ville, alors en pleine effusion, s'efforçait d'oublier les atrocités de la guerre en se jetant à corps perdu dans la musique et la danse. Cette gaieté sans limite qu'elle exhalait m'a immédiatement envoutée. Des milliers et des milliers de gens flottaient chaque jour dans ses rues et, à mon plus grand bonheur, j'en faisais partie. J'ai parcouru ses artères, visité chaque recoin de son squelette, voyagé sur son corps et chevauché sa peau jusqu'à l'épuisement, mais cette innocente insouciance de jeune fille fraîchement débarquée a rapidement pris fin quand mon maigre bagage s'est trouvé vide. La chance, qui jusque ici ne m'avait pas particulièrement souri, a alors daigné m'apparaître et c'est en sonnant à l'hôtel particulier de la famille Viraut, sur le boulevard Saint-Martin, que je l'ai rencontrée : elle et un poste de bonne m'y attendaient. J'y ai travaillé près de 40 ans. J'y vivais, certes, assez chichement, mais j'avais trois fois par jour de la nourriture dans mon assiette, et le soir un lit confortable où m'endormir. À la mort de ma maîtresse, son fils, un homme cynique et arriviste, n'a pas daigné me garder à son service et c'est avec un mélange de tristesse et d'amertume que j'ai dû quitter le toit qui m'avait protégé pendant ces longues années. J'ai réussi à vivre tant bien que mal en continuant à me mettre à disposition des gens que la fortune avait favorisés jusqu'à ce que mon corps, las de ces réveils à l'aurore, de ces journées sans fin et de ces nuits trop courtes, me fasse comprendre mon âge.
Je ne me suis jamais mariée, mais j'ai cependant eu l'occasion de découvrir plusieurs fois, trop volatilement à mon goût, le bonheur d'avoir un homme à mes côtés. Blonds, bruns et châtains se sont succédés, riches et pauvres m'ont fait rire, grands et petits ont fait tanguer mon coeur mais aucun ne m'a cependant comblée au point que je veuille partager mon existence avec lui.
Je vis aujourd'hui mes derniers instants dans ce modeste appartement qui entendra mon dernier soupir, qui sentira sur ses murs mon dernier souffle et qui verra mon corps s'éteindre. Le seul être qui souffrira de mon absence ronronne à mes côtés et je lis dans ces yeux une tristesse silencieuse.

Rebondissement

Il n'était pas de ces sybarites qui, faisant fi des préceptes religieux, coqueliquaient à tout-va, s'adonnaient à la paillardise et jouaient allègrement avec leur vit. Sans toutefois ressentir de l'aversion ou quelconque forme de dégoût pour ces hommes à l'esprit primesautier et aux mœurs légeres, il ne savait, quant à lui, succomber aux formes, si généreuses soient-elles, de la première caillette venue.
Vivre à la cour en appliquant à la lettre la morale qui était la sienne et que certains hommes d'Église, baignant dans l'ignorance, auraient jugé exemplaire, n'était pourtant pas simple. Cette conduite, qu'on tiendrait bien volontiers pour honorable, engendrait quantité de caquetades et de clabauderies : des pelotes de mensonges, roulées par les dames de la Cour, rebondissaient jusque dans les faubourgs de Paris où le rouet des soubrettes, des alberguières et autres drolettes les grossissaient tant et tant. On trouvait, entremêlées dans les fibres de ces mensonges, nombre de coquecigrues et de billes vezées qui ébaudissaient aussi bien les grands nobles que les petites gens.
Il est vrai que l'homme était une source intarissable de commérages, tant pour les chattemites du Louvre que pour le peuple de la belle Paris. Son physique, que bien des muguets de cour lui enviaient, déclenchait dans les cœurs du gentil sesso d'ardentes passions que son indifférence n'était pas à même d'éteindre. Ses yeux vifs, d'un vert profond, sa bouche enfantine aux lèvres vermeil, son nez bourbonien et ses cheveux blonds bouclés, quotidiennement testonnés avec soin par sa fidèle chambrière, faisaient chavirer le cœur des garces. Mais peu chalaient au jeune homme les regards féminins qui se posaient sur lui.
En ses vertes années, il n'avait pourtant pas été sans baisser la garde une ou deux fois devant les œillades que les demoiselles du Louvre, assurées de leurs charmes, lancent à la dérobée. Toutefois, il se ramentevait que le temps avait amati l'éclat de ces yeux et avait recouvert du voile de la banalité ces doux visages. Aussi vivement que sûrement, il avait alors délaissé la mignotte et s'en était retourné en ses appartements.
Il s'apprêtait aujourd'hui à effectuer le voyage que tout homme se voit contraint, un jour, d'accomplir. La date de son département avait été avancée : les déguisements sous lesquels il se dissimulait, de la pique du jour à la tombée de la nuit, avaient fini par choir et le monde l'avait alors découvert tel qu'il était. Princes et ribaudes, harenguiers et pastourelles, tous l'avaient alors conspué et voué aux gémonies. Le lendemain de cette découverte, une demi douzaine d'archers avaient forcé l'entrée de ses appartements, l'avaient violemment extirpé des bras de Morphée et après l'avoir traîné, non sans un malin plaisir, dans les rues de la capitale, l'avaient embastillé. Sa condition de noble avait quelque peu assoupli le châtiment qui devait lui être infligé : certes, il échapperait à la hart, mais il ne pouvait point cependant se soustraire au sort que l'Église catholique réservait aux bougres.
Et alors que les flammes rougeoyantes dévoraient avidement le bûcher de bois sur lequel on l'avait placé, il enfouit dans la gibecière de sa mémoire l'image de ce jeune fol qu'il avait passionnément aimé.

Filet


Ma graine originelle, avalée par une oie du Canada avide de découvertes culinaires, aurait pu voyager très loin, mais c'est dans le parc Congaree que je débarquai.
Mon transporteur, gêné dans sa migration par un fardeau inutile, en l'occurrence moi, s'en était débarrassé en plein vol. Ma chute avait été longue et angoissante, mais la fiente, dont mon hôte avait su si gracieusement m'entourer, en atténua le choc.
C'est près d'une minuscule rivière que j'arrivai, et à ce même endroit je m'installai, profitant pour me nourrir les premiers jours de ce généreux excrément, dans lequel je puisais tous ce dont j'avais besoin. Le taux d'humidité locale correspondait parfaitement à la demande de mon organisme et je profitais chaque jour des rayons du soleil, les grands arbres et imposants végétaux étant, en raison de l'instabilité du sol, incapables de pousser en cette zone.
Après ma naissance chaotique et nauséabonde, c'est donc dans ce luxuriant marécage que mon séduisant corps s'épanouissait au fil des mois, provoquant, je le voyais bien, un ébahissement collectif aux alentours. Il faut dire que je n'étais pas de ces «All Green» ou de ces «Filiformis» dont les couleurs maussades et les proportions démesurées lassent, écœurent, et ce jusqu'à provoquer des réactions anatomiques innommables. Non ! Moi, je faisais parti de l'élégante élite, de la majestueuse minorité : j'étais une «Akai Ryu». Mes splendides atouts ne suscitaient qu'admiration et vénération de la part des végétaux voisins, la ligne verte qui habillait le bord extérieur de mes feuilles s'accordait à la perfection avec le rouge flamboyant de ma robe, mes dimensions étaient idylliques et mes formes, tout simplement, célestes.
Au mois de septembre, une fois que mon cycle de croissance annuelle prit fin, je dressai fièrement vers le ciel mes ravissantes feuilles. Il me fallut un certain temps avant que mes glandes sessiles ne se mettent à sécréter le nectar qui servirait d'appât, et l'énergie que je dus dépenser dans cette exsudation affecta quelque peu mes somptueuses couleurs. Si je voulais continuer à régner de par ma beauté sur les environs, il me fallait un apport rapide en azote.
La seule source susceptible de m'en fournir était cette infâme colonie de vilaines mouches noires, que l'on appelle communément «mouches à merde» et qui méritent amplement, je vous l'assure, cette scatophile appellation. La subtile fragrance qui se dégageait de mon nectar ne cessait, je le voyais, de démanger les papilles de ces abjects insectes et un beau matin, un de ces ridicules animaux, ignorant qui j'étais, vint se régaler de ma substance. Sans même remarquer mon ingénieuse autonomie, il toucha un de mes poils sensitifs. Le piège était en route et il ne restait plus beaucoup de temps à vivre à la pauvre créature. Comme il était à prévoir, un deuxième contact suivi et, inexorablement, mon piège se referma, emprisonnant le répugnant individu. Je laissai quelque peu entrouvertes mes feuilles afin de tâter ma proie et d'en vérifier la fraîcheur, les dents qui les ceinturaient empêchant la moindre fuite. Il fallait la voir se démener comme un folle furieuse, c'était tout bonnement ridicule. Telle un poisson pris dans un filet, elle s'agitait inutilement, elle remuait frénétiquement, ignorant qu'aucune échappatoire n'était possible.
Ayant considéré la viande comme assez savoureuse pour mon délicat organisme, je commençai à expulser mon acide et la chaire liquéfiée de la mouche se mit à couler vers mon appareil digestif, me procurant au passage, un plaisir intense. Les effets sur mon corps de cet apport en azote se firent sentir de suite. Les somptueuses couleurs qui avaient, l'espace d'un instant, abandonné mes feuilles revinrent s'y loger en une fraction de seconde et mes tiges qui s'étaient quelque peu affalées, suite aux efforts répétés, de nouveau s'érigèrent vers le ciel.
Comme un merveilleux alchimiste, j'avais transformé la bête la plus vile, la plus détestable et la plus sordide en la créature la plus admirable : moi !

lundi 10 janvier 2011

Saut de Grenouille

Le lever à cinq heures, le visage gonflé de sommeil, le petit déjeuner avalé sans un mot, les dix kilomètres sur les routes défoncées dans la vieille AX. Je n'ai pas le choix : ce rituel hebdomadaire s'est imposé à moi. Cette randonnée sanguinaire dans le petit matin, cette chasse à l'animal innocent, ce retour aux racines les plus cruelles de l'être humain. Je voudrais prendre mes jambes à mon cou, mais le regard froid de mon père m'ordonne silencieusement de le suivre sans contester.
Le 13 mai, j'ai eu 16 ans. Je voulais des livres, j'ai eu un fusil. J'aurais voulu de l'innocence, une porte ouverte à l'imagination, une échappatoire ; j'ai eu le droit à une arme, un permis de chasse et l'abject droit de tuer.
La lumière du matin me semble lugubre, les gouttes de rosée ne sont que le prémisse des gouttes de sang qui seront versées. Je devrais être plongé dans les bras de Morphée, et je serai bientôt plongé dans les viscères encore fumantes d'un animal inutilement sacrifié.
Ce spectacle matutinale aurait pu être plaisant : l'aube naissante, la nature au réveil, les premières lueurs du soleil sur la forêt bretonne ; malheureusement, mon père est là. Les bruissements de pas d'animaux dans les frondaisons, le clapotis des sauts insouciants des grenouilles et le joyeux chant clair des oiseaux champêtres ne peuvent détourner mon regard de l'assassin qui marche quelques mètres devant moi. Mes yeux se fixent sur son attirail de boucher : ces bottes en caoutchouc vert, ce treillis militaire ridicule, ce fusil de chasse en bandoulière ; tout cet accoutrement provoque en moi une nausée que je ne peux contenir. Mon père a entendu la réaction physique engendrée par le dégoût qu'il m'inspire, il se retourne et m'observe avec un dédain et une supériorité qu'il ne prend pas même la peine de feindre. J'essuie ma main recouverte de bile jaunâtre et visqueuse dans les roseaux et poursuit mon chemin. Pourquoi ce désir de tout saccager, pourquoi cette volonté de démontrer sa médiocre supériorité, pourquoi ce besoin d'écraser l'autre ?
C'est alors que l'illumination vient libérer mon esprit embrumé. Mécaniquement, mes mains décrochent le fusil de mon épaule et le placent en position, mon corps se fige et mon œil se fixe sur ma proie aux sabots de caoutchouc. Un coup de feu retentit dans la lumière du petit matin et ma victime s'écroule dans les hautes herbes.