Libellés

mercredi 30 mars 2011

Le Vide

Une symphonie silencieuse. Des parchemins jaunis sur lequel se côtoient, parallèles et malheureuses, des lignes de portée nues, évidées, creusées. Un récital pour violon, sans violon, ni archet. Une liasse de vélin noirci de routes sans automobiliste mélodique, sans humanité harmonieuse, sans fa, sans sol, sans ré. Exit les accords de joie, exit les croches de moi. Envolées les langoureuses notes de souvenirs. Annihilés les cris lancinants du triste instrument. Disparus les tremblements assurés du violoniste chevronné.
Rien de plus qu'un reste de liber asséché. Rien de plus que la marque estompée des notes de l'existence. La marque, aujourd'hui illisible, d'un jadis occupé. La marque du passage d'un Dieu malveillant, à l'inspiration destructrice, qui, en un gonflement de poumons, aurait absorbé la vitale palpitation du papier. Rien que du blanc strié de noir. Une mélodie insondable, inouïe, impalpable. La mélodie du vide, la mélodie du néant, la mélodie du rien. L'absence de tout attendant ardemment la présence d'un rien.

mardi 29 mars 2011

Mario Benedetti, Buzón de tiempo

CONCILIAR EL SUEÑO

Lo que ocurre, doctor, es que en mi caso los sueños vienen por ciclos temáticos. Hubo una época en que soñaba con inundaciones. De pronto los ríos se desbordaban y anegaban los campos, las calles, las casas y hasta mi propia cama. Fíjense que en sueños aprendí a nadar y gracias a eso sobreviví a las catástrofes naturales. Lamentablemente, esa habilidad tuvo una vigencia sólo onírica, ya que un tiempo después pretendí ejercerla, totalmente despierto, en la piscina de un hotel y estuve a punto de ahogarme.
Luego vino un período en que soñé con aviones. Más bien, con un solo avión, porque siempre era el mismo. La azafata era feúcha y me trataba mal. A todos les deba champán, menos a mí. Le pregunté por qué y ella me miró con un rencor largamente programado y me contestó: «Vos bien sabes por qué». Me sorprendió tanto aquel tuteo que casi me despierto. Además, no imaginaba a qué podía referirse. En esa duda estaba cuando el avión cayó en un pozo de aire y la azafata feúcha se desparramó en el pasillo, de tal manera que la minifalda se le subió y pude comprobar que abajo no llevaba nada. Fue precisamente ahí que me desperté, y, para mi sorpresa, no estaba en mi cama de siempre sino en un avión, fila 7 asiento D, y una azafata con rostro de Gioconda me ofrecía en inglés básico una copa de champán. Como ve, doctor, a veces los sueños son mejores que la realidad y también viceversa. ¿Recuerda lo que dijo Kant? El sueño es un arte poético involuntario.
En otra etapa soñé reiteradamente con hijos. Hijos que eran míos. Yo, que soy soltero y no los tengo ni siquiera naturales. Con el mundo como está, me parece un acto irresponsable concebir nuevos seres. ¿Usted tiene hijos? ¿Cinco? Excuse me. A veces digo cada pavada.
Los niños de mi sueño eran bastante pequeños. Algunos gateaban y otros se pasaban la vida en el baño. Al parecer, eran huérfanos de madre, ya que ella jamás aparecía y los niños no habían aprendido a decir mamá. En realidad, tampoco me decían papá, sino que en su media lengua me llamaban «turco». Tan luego a mí, que vengo de abuelos coruñeses y bisabuelos lucenses. «Turco, vení», «Turco, quero la papa», «Turco, me hice pipí». En uno de esos sueños, bajaba yo por una escalera medio rota, y zás, me caí. Entonces el mayorcito de mis nenes me miró sin piedad y dijo: .Turco, jodete.. Ya era demasiado, así que desperté de apuro a mi realidad sin angelitos.
En un ciclo posterior de fútbol soñado, siempre jugué de guardameta o gotero o portero o goalkeeper o arquero. Cuántos nombres para una sola calamidad. Siempre había llovido antes del partido, así que las canchas estaban húmedas y era inevitable que frente a la portería se formara un laguito. Entonces aparecía algún delantero que me fusilaba con ganas, y en primera instancia yo atajaba, pero en segunda instancia la pelota mojada se escabullía de mis guantes y pasaba muy oronda la línea del gol. A esa altura del partido (nunca mejor dicho), yo anhelaba con fervor despertarme, pero todavía me faltaba escuchar cómo la tribuna a mis espaldas me gritaba unánimemente: traidor, vendido, cuánto te pagaron y otras menudencias.
En los últimos tiempos mis aventuras nocturnas han sido invadidas por el cine. No por el cine de ahora, tan venido a menos, sino por el de antes, aquel que nos conmovía y se afincaba en nuestras vidas con rostros y actitudes que eran paradigmas. Yo me dedico a soñar con actrices. Y qué actrices: digamos Marilyn Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullmann, Glenda Jackson y otras maravillas. (A los actores, mi Morfeo no les otorga visa.) Como ve, doctor, la mayoría son veteranas o ya no están, pero yo las sueño tal como aparecían en las películas de entonces. Verbigracia, cuando le digo Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullmann, Glenda Jackson y otras maravillas. (A los actores, mi Morfeo no les otorga visa.) Como ve, doctor, la mayoría son veteranas o ya no están, pero yo las sueño tal como aparecían en las películas de entonces. Verbigracia, cuando le digo Claudia Cardinale, no se trata de la de ahora (que no está mal) sino la de La ragazza con la valiglia, cuando tenía 21.
Marilyn, por ejemplo, se me acerca y me dice en un tono tiernamente confidencial: «I don’t love Kennedy. I love you. Only you. Sepa usted que en mis sueños las actrices hablan a veces en versión subtitulada y otras veces dobladas al castellano. Yo prefiero los subtítulos, ya que una voz como la de Glenda Jackson o la de Catherine Deneuve son insustituibles.
Bueno, en realidad vine a consultarle porque anoche soñé con Anouk Aimée, no la de ahora (que tampoco está mal) sino la de Montparnasse 19, cuando tenía unos fabulosos 26 años. No piense mal. No la toqué ni me tocó. Simplemente se asomó por una ventana de mi estudio y sólo dijo (versión doblada): «Mañana de noche vendré a verte, pero no a tu estudio sino a tu cama. No lo olvides».
Cómo voy a olvidarlo. Lo que yo quisiera saber, doctor, es si los preservativos que compro en la farmacia me servirán en sueños?.Porque ¿sabe? no quisiera dejarla embarazada.

TROUVER LE SOMMEIL

Ce qui m'arrive, docteur, c'est que chez moi, les rêves arrivent par cycles thématiques. Fut un temps où je rêvais d'inondations. D'un seul coup, les fleuves entraient en crue et inondaient les champs, les rues, les maisons et même mon propre lit. Rendez-vous compte, docteur, que dans mes rêves, j'ai quand même appris à nager et que c'est grâce à ça que j'ai survécu aux catastrophes naturelles. Bien malheureusement, cette aptitude n'avait une validité qu'onirique, parce qu'un beau jour, j'ai eu la prétention de la mettre en pratique, totalement éveillé, dans la piscine d'un hôtel et sur le coup, j'ai bien failli me noyer.
Après ça, il y a eu une période où je rêvais d'avions. Enfin, plus exactement d'un seul avion, parce que c'était toujours le même. L'hôtesse de l'air était vilaine et elle me traitait mal. À tous les autres, elle offrait du champagne, mais pas à moi. Alors, je lui demande pourquoi et là, elle me regarde avec une rancœur sans gène et elle me répond : « Tu sais très bien pourquoi ». J'ai été tellement sidéré par ce tutoiement que j'ai été à deux doigts de me réveiller. En plus, j'avais aucune idée de ce qu'elle voulait dire. Donc, je suis en plein questionnement quand l'avion tombe dans un trou d'air et la vilaine hôtesse se ramasse, dans le couloir, de telle façon que sa minijupe remonte et je peux voir qu'elle ne porte rien dessous. C'est précisément ça qui me fait me réveiller et là, à ma grande surprise, je suis pas dans mon lit, mais dans un avion, rangée numéro sept, place D, et une hôtesse avec un visage de Joconde m'offre, dans un anglais de base, une coupe de champagne. Docteur, comme vous pouvez le constater, il arrive que les rêves soient mieux que la réalité, mais l'inverse arrive aussi. Vous vous rappelez ce qu'a dit Kant ? Le rêve est un art poétique involontaire.
Un peu plus tard, pendant un temps, j'ai pas arrêté de rêver d'enfants. Des enfants qui étaient de moi. De moi, alors que moi, je suis célibataire et que j'en ai pas moi des enfants, pas même des enfants illégitimes. Et alors, vu l'état actuel du monde, donner naissance à des enfants, ça me paraît tout simplement être un acte irresponsable. Vous avez des enfants, vous ? Cinq ? Excuse me. Il m'arrive parfois de faire de ces bourdes. Bon alors, les enfants de mes rêves, ils étaient assez jeunes. Il y en a qui marchaient à quatre pattes et d'autres qui passaient leur vie dans la salle de bains. Il faut croire qu'ils n'avaient pas de mère, parce que celle-ci n'était jamais là et les enfants n'avaient même pas appris à dire maman. Enfin, moi, ils m'appelaient pas papa non plus, non !, dans leur langage limité, ils m'appelaient «le turc». Rien à voir avec moi, qui suis de grands-parents de La Corogne et d'arrières-grands-parents de Lugo. « Hé, le turc, viens », « Hé, le turc, je veux mon miam-miam », « Hé, le turc, je me suis fait pipi dessus ». Dans l'un de ces rêves, je descends un escalier à moitié cassé, et bam, je tombe. Et c'est là que l'aîné de mes enfants me regarde sans aucune pitié et me balance : « Hé le turc, va bien te faire foutre ». C'en est trop, alors je me réveille d'un coup, dans ma réalité orpheline de ces petits anges. Un peu plus tard, j'ai rêvé de football, je jouais toujours au poste de gardien, de goal, de portier, de garde-but, de goalkeeper. Tant de noms pour une seule calamité. Il pleut toujours avant le match, du coup, le terrain est détrempé et, bien sûr, inévitablement, devant les cages, un petit lac s'est formé. Et là, surgit un attaquant qui, littéralement, me fusille avec plaisir. Dans un premier temps, j'arrête sa frappe, mais juste après, le ballon mouillé me glisse des mains et franchit, tout gonflé d'orgueil, la ligne de but. À ce moment crucial (et moi , de la croix, j'en étais pas loin), je souhaite de tout cœur me réveiller, mais non ! il faut encore que j'écoute comment, d'une seule et même voix, la tribune, derrière moi, m'insulte : traître !, vendu !, combien ils t'ont payé ?, et autres injures du même genre.
Et, ces derniers temps, mes aventures nocturnes ont été envahis par le ciné. Pas par le ciné d'aujourd'hui qui, lui, est tombé bien bas, mais par celui de l'époque, celui qui nous émouvait et qui s'infiltrait dans nos vies avec ces visages et ces expressions qui devenaient des modèles. Je me consacrais à rêver d'actrices. Et il faut voir quelles actrices : genre Marylin Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullmann, Glenda Jackson, et autres beautés. (Par contre, Mon Morphée, lui, n'accordait pas de Visa aux acteurs). Comme vous le voyez, docteur, la plupart sont plutôt âgées ou, d'ailleurs, ne sont plus, mais moi, dans mes rêves, elles étaient telles qu'elles apparaissaient dans leurs films d'alors. Par exemple, quand je vous dis Claudia Cardinale, je ne vous parle pas de celle d'aujourd'hui (qui n'est pas mal non plus), mais de celle de La ragazza con la valiglia, quand elle avait 21 ans.
Tenez, Maryline, par exemple, s'approche de moi et me dit sur un ton de tendre confidence : « I don't love Kennedy, I love you. Only you ». Il faut que vous sachiez que, dans mes rêves, les actrices parlent parfois en version sous-titrée, et parfois elles sont doublées en castillan. Moi, je préfère les sous-titres, parce qu'une voix comme celle de Glenda Jackson ou comme celle de Catherine Deneuve, c'est tout bonnement irremplaçable.
Mais bon, à vrai dire, si je suis venu vous consulter, c'est parce qu'hier soir, j'ai rêvé d'Anouk Aimée, pas celle d'aujourd'hui (qui, elle non plus, n'est pas mal), celle de Montparnasse 19, du haut de ses fabuleux 26 printemps. Mais, détrompez-vous. Je l'ai pas touchée et elle m'a pas touché non plus. Elle s'est juste penchée à la fenêtre de mon studio et m'a simplement annoncé (en version doublée) : « Demain soir, je viendrai te voir, mais pas à ton studio… dans ta chambre. Ne l'oublies pas.
Comment je pourrais l'oublier. En fait, ce que je voudrais savoir, docteur, c'est si les préservatifs que j'achète à la pharmacie peuvent me servir dans mes rêves. Parce que, vous savez, je voudrais pas qu'elle tombe enceinte.

mercredi 23 mars 2011

L'Eau


L'eau partout.
Douce, salée, visible et invisible.
L'eau de pluie qui vient écraser leurs solides épaules et l'eau de mer qui, en rafales, vient fouetter leur peau tannée.
L'eau puissante, verticale, qui ruisselle sur leurs corps et l'eau sournoise, en fragile suspension dans ce crachin, qui les encercle et s'infiltre au plus profond d'eux.
L'eau qui voilent leurs visages, l'eau qui anéantit leurs espoirs, l'eau qui inonde la moindre parcelle de joie innocente.
L'eau grise, sale et poisseuse, stockée depuis des jours dans les nuages, qui vient se déverser sur eux et l'eau fraîche, légère et frivole, transportée par le vent marin, qui vient leur apporter des effluves d'ailleurs et leur fait croire que le bonheur existe, loin, très loin derrière cette ligne d'horizon.
La résistance sans espoir de ces hommes à cet élément incontrôlable, insaisissable, impalpable. L'impuissance de ces montagnes de muscles face à ce liquide ravageur.
Ils luttent comme ils peuvent, le dos vouté, la tête dans les épaules, le corps recouvert du ciré jaune, sachant pertinemment qu'ils en sortiront vaincus, qu'ils rentreront chez eux liquéfiés et qu'eux même ne sauront plus faire la différence entre leur propre sueur et celle de la nature. Et ils oublieront la journée sous l'eau de la douche, dans les vapeurs humides de la salle de bains. Et, avant d'aller se coucher dans les draps humides, ils avaleront le brouet préparé par leurs femmes, liqueur frugal qui leur servira de diner.
L'eau partout. L'eau toujours.

mercredi 23 février 2011

Ascenseur

Dans la poche droite de mon pantalon, mes mains moites caressent nerveusement les billets froissés.
Je monte avec quelque difficulté les quelques marches du perron et franchis, le cœur battant, la porte d'entrée de l'immeuble. Au troisième étage, se trouve celle qui détient la clé, symbole de ma nouvelle vie, de ma naissance en tant qu'adulte. La plupart de mes amis ont déjà mis la main dessus, ils ont déjà ouvert la porte et sont passés de l'autre côté. Aujourd'hui, c'est mon tour. Et pour cette grande occasion, j'ai mis les bouchées doubles : j'ai rasé le léger duvet qui commençait à naître au dessus de ma lèvre supérieure, revêtu mes plus beaux habits et réussit à dompter, grâce au peigne paternel et à une patience sans faille, ma chevelure rebelle.
Les jambes tremblantes, je ne me sens pas le courage de monter à pied les trois étages qui nous séparent, aussi décidé-je de prendre l'ascenseur. Après tout, il serait peut-être judicieux de garder ses forces pour l'affronter. J'écarte d'une main la grille de fer et m'engouffre dans le caisson. Avant de presser le petit bouton doré qui me déposera à l'endroit désiré, je jette un dernier coup d'œil à mon reflet dans le miroir : un garçon dans la fleur de l'âge, pas un ange de beauté, mais pas trop mal non plus, des petits yeux noisettes malicieux, des traits réguliers, des cheveux aile-de-corbeau et un corps bien dessiné, le résultat n'est pas trop vilain.
Après cette petite vérification esthétique, je me décide à appuyer sur le bouton. Dans un fracas métallique, la cage se met en route et commence à courir le long du câble. L'ascenseur et le stress qui m'envahit, dans un synchronisme parfait, montent lentement, mais sûrement. Est-ce que l'argent difficilement gagné, à la sueur de mon front, suffira à payer le prix du passage ? Est-ce qu'il faudra que je lui parle ? Est-ce que, si tel est le cas, je saurai trouver les mots ?
Les questions à peine posées resteront sans réponse car un tintement cuivré m'avertit que je suis arrivé. Mes bras tétanisés par l'appréhension réussissent tant bien que mal à faire coulisser la grille de fer mais, avant de poser le pied sur le pallier, je prends le temps d'inspirer profondément afin d'évacuer les doutes, les incertitudes et les tergiversations. L'heure de fouler les planches a sonné et je saurais ne pas faire marche arrière. L'ardeur retrouvée, je m'extirpe de l'élévateur. C'est alors que je l'aperçois.
Couverte d'un simple peignoir rose, elle m'attend dans l'embrasure de la porte. Ses cheveux blonds, qui coulent jusqu'à sa poitrine, sont d'un blond étincelant ; ses lèvres, peintes en rouge, sont une invitation au péché ; ses yeux, ornés d'une ombre violette, sont des armes capables de mettre à mort quiconque croise son regard. D'un geste assuré de la main, elle m'invite à la rejoindre. Elle me regarde m'approcher, puis, lorsque j'arrive enfin à sentir les lourdes effluves de son parfum, elle me délaisse, s'éloigne de moi et avance dans le couloir de cette bonbonnière bigarrée. Prenant mon courage à deux mains, je l'imite et pénètre dans le boudoir qui recueillera le fruit de mes premiers émois. Je referme, en la faisant claquer, la lourde porte de merisier. Je suis entré dans l'immeuble en tant que jeune innocent ; quand j'en sortirai, dans quelques instants, je serai différent.

jeudi 17 février 2011

El Señor Presidente, Miguel Ángel Asturias

Miguel Cara de Ángel, el hombre de toda la confianza del Presidente, entró de sobremesa.
—¡Mil excusas, señor Presidente! —dijo al asomar a la puerta del comedor. (Era bello y malo como Satán)—. ¡Mil excusas, Señor Presidente, si vengo-ooo... pero tuve que ayudar a un leñatero con un herido que recogió de la basura y no me fue posible venir antes! ¡Informo al Señor Presidente que no se trataba de persona conocida, sino de uno así como cualquiera!
El Presidente vestía, como siempre, de luto riguroso: negros los zapatos, negro el traje, negra la corbata, negro el sombrero que nunca se quitaba; en los bigotes canos, peinados sobre las comisuras de los labios, disimulaba las encías sin dientes, tenía los carrillos pellejudos y los párpados como pellizcados.
—¿Y se lo llevó adonde corresponde?... —interrogó desarrugando el ceño...
—Señor...
—¡Qué cuento es ése! ¡Alguien que se precia de ser amigo del Presidente de la República no abandona en la calle a un infeliz herido víctima de oculta mano!
Un leve movimiento en la puerta del comedor le hizo volver la cabeza.
—Pase, general...
—Con el permiso del Señor Presidente...
—¿Ya están listos, general?
—Sí, Señor Presidente...
—Vaya usted mismo, general; presente a la viuda mis condolencias y hágale entrega de esos trescientos pesos que le manda el Presidente de la República para que se ayude en los gastos del entierro.
El general, que permanecía cuadrado, con el quepis en la diestra, sin parpadear, sin respirar casi, se inclinó, recogió el dinero de la mesa, giró sobre los talones y, minutos después, salió en automóvil con el féretro que encerraba el cuerpo de ese animal.
Cara de Ángel se apresuró a explicar:
—Pensé seguir con el herido hasta el hospital, pero luego me dije: «Con una orden del Señor Presidente lo atenderán mejor.» Y como venía para acá a su llamado y a manifestarle una vez más que no me pasa la muerte que villanos dieron por la espalda a nuestro Parrales Sonriente...
—Yo daré la orden...
—No otra cosa podía esperarse del que dicen que no debía gobernar este país...
El Presidente saltó como picado.
—¿Quiénes?
—¡Yo, el primero, Señor Presidente, entre los muchos que profesamos la creencia de que un hombre como usted debería gobernar un pueblo como Francia, o la libre Suiza, o la industriosa Bélgica o la maravillosa Dinamarca!... Pero Francia..., Francia sobre todo... ¡Usted sería el hombre ideal para guiar los destinos del gran pueblo de Gambetta y Víctor Hugo!


Miguel Gueule d'Ange, l'homme en qui le Président avait une confiance totale, arriva une fois le repas fini.
« Milles excuses, monsieur le Président ! – dit-il en entrant par la porte de la salle à manger. (Il était beau et mauvais comme Satan) – Milles excuses, monsieur le Président, j'arrive à l'instant ... c'est qu'il m'a fallu aider un bûcheron qui avait extrait des poubelles une personne blessée et je n'ai pas pu être là avant. J'informe monsieur le Président qu'il ne s'agissait en aucun cas d'une personne connue, mais d'un simple citoyen lambda.»
Le Président était, comme toujours, habillé en tenue de deuil : chaussures noires, costume noir, cravate noire, et chapeau noir qu'il n'enlevait jamais. Sa moustache plus sel que poivre, peignée aux commissures des lèvres, dissimulait des gencives sans dents, il avait la peau des joues flasque et les paupières comme pincées.
« Et vous l'avez conduit où il convenait ?... – demanda-t-il en relevant les sourcils...
– Monsieur …
– Qu'est ce que vous me chantez là ? Quelqu'un qui se targue d'être l'ami du Président de la République n'abandonne pas dans la rue une malheureuse victime, blessée par on ne sait qui. »
Un léger mouvement près de la porte de la salle à manger lui fit tourner la tête.
« Entrez, général...
– Avec votre permission, monsieur le Président, …
– Est-ce qu'ils sont prêts, général ?
– Oui, monsieur le Président.
– Que ce soit vous qui y alliez, général. Présentez à la veuve mes condoléances et remettez lui ces trois cents pesos que le Président de la République lui envoie afin qu'elle puisse payer les frais liés à l'enterrement.
Le général, qui se maintenait au garde à vous, le képi à la main droite, sans cligner des yeux, presque sans respirer, s'inclina, récupéra l'argent sur la table, tourna les talons et, quelques minutes plus trad, sortit en voiture, avec le cercueil qui enfermait le corps de cet animal. »
Gueule d'Ange se hâta de s'expliquer :
« J'ai pensé accompagner le blessé à l'hôpital, mais ensuite je me suis dit :  "Avec un mot de monsieur le Président, ils s'en occuperont certainement mieux". Et, comme je venais là, non seulement sur votre commandement, mais aussi pour vous avouer une fois de plus que je ne me remets pas de la mort de « Parrales Sonriente », causée par ces scélérats...
– Je leur en donnerai l'ordre.
– Je ne pouvais espérer rien d'autre de celui dont on dit qu'il ne devrait pas gouverner ce pays.
Le Président sursauta, comme offusqué.
– Qui « on » ?
– Moi le premier, monsieur le Président, je suis de ceux qui répandent l'idée qu'un homme comme vous devrait gouverner un pays comme la France, ou la libre Suisse, ou l'industrieuse Belgique, ou le merveilleux Danemark ! Mais la France... la France surtout... Vous seriez l'homme idéal pour guider le destin des concitoyens de Gambetta et de Victor Hugo ! »

dimanche 13 février 2011

Las ratas, Miguel Delibes

Poco después de amanecer, el Nini se asomó a la boca de la cueva y contempló la nube de cuervos reu­nidos en concejo. Los tres chopos desmochados de la ribera, cubiertos de pajarracos, parecían tres paraguas cerrados con las puntas hacia el cielo. Las tierras ba­jas de don Antero, el Poderoso, negreaban en la dis­tancia como una extensa tizonera.
La perra se enredó en las piernas del niño y él le acarició el lomo a contrapelo, con el sucio pie desnu­do, sin mirarla; luego bostezó, estiró los brazos y le­vantó los ojos al lejano cielo arrasado:
-El tiempo se pone de helada, Fa. El domingo iremos a cazar ratas -dijo.
La perra agitó nerviosamente el rabo cercenado y fijó en el niño sus vivaces pupilas amarillentas. Los párpados de la perra estaban hinchados y sin pelo; los perros de su condición rara vez llegaban a adul­tos conservando los ojos; solían dejarlos entre la ma­leza del arroyo, acribillados por los abrojos, los zara­güelles y la corregüela.

Peu de temps après le lever du soleil, le Nini sortit par la bouche de la grotte et contempla le nuage de corbeaux réunis en assemblée. Les trois peupliers noirs écimés, peuplant la rive, ressemblaient, couverts de volatiles, à trois parapluies fermés, les pointes orientées vers le ciel. Les basses-terres de Don Antero le Puissant noircissaient au loin comme du charbon. La chienne se blottit entre les jambes du garçon qui, sans un regard et de son pied nu et sale, la caressa à contrepoil. Il se mit ensuite à bailler, étira ses bras et leva les yeux vers le lointain ciel satiné.
« Les premières gelées sont sur le point d'arriver, Fa. Dimanche, nous irons chasser les rats – déclara-t-il. »
La chienne remua nerveusement sa queue rognée et fixa ses vives pupilles jaunâtres dans celles du garçon. Les paupières de la chienne étaient enflées et glabres : rares étaient les chiens de sa condition à atteindre l'âge adulte les yeux intacts. La plupart du temps, ils les perdaient dans les broussailles des fleuves, arrachés par les chardons, les roseaux et le liseron.

vendredi 11 février 2011

Gracias por el fuego, Mario Bendetti

La ventana se abre a la calma chicha. Allá abajo, los plátanos. Por lo menos la mitad de las hojas están inmóviles, y el movimiento de las otras es apenas un estremecimiento. Como si alguien les hiciera cosquillas. Transpiro como un condenado. El aire está tenso, pero ya sé que nada va a estallar. ¿Qué puedo decirme? Éste es el momento, estoy seguro. En los días en que estuve alegre, siempre me falseé, siempre creí en lo que no soy, la vida color de rosa, etcétera. En las noches en que me sentí tan mal como para llorar a gritos, no lloré a gritos sino silenciosamente, tapado por la almohada. Pero allí también uno exagera. No se puede ser lúcido con el pecho
hinchado de congoja, o de desesperación. Mejor llamémosle desesperación. Sólo para mí, claro. Que los demás cuelguen sus etiquetas: hipocondría, neurastenia, luna. Yo he llegado a un pacto conmigo mismo y por eso la llamo desesperación. Éste es el momento, estoy seguro,
porque no estoy alegre ni desesperado. Estoy, cómo decirlo, simplemente tranquilo. No, ya me falseo. Estoy horriblemente tranquilo. Así está mejor.

La fenêtre s'ouvre sur un calme plat. En contrebas, les bananiers. La moitié des feuilles au moins reste immobile, et le mouvement des autres n'est guère plus qu'un frémissement. Comme si quelqu'un les chatouillait. Je transpire à grosses gouttes. Il y a de l'orage dans l'air, mais je sais déjà que rien ne va éclater. Qu'est-ce que je peux me dire ? Le moment est arrivé, j'en suis sûr. Les jours pendant lesquels je fus heureux, je me suis toujours leurré, je me suis menti à moi même, croyant à la vie en rose, … Ces nuits où je me sentais si mal que j'aurais pu hurler de chagrin, je ne l'ai pas fait, j'ai pleuré silencieusement, la tête dans l'oreiller. Mais, là aussi, on exagère ; on ne peut être lucide avec le cœur gonflé d'angoisse, ou de désespoir. Appelons-le plutôt désespoir. Du moins en ce qui me concerne, c'est clair. Les autres, qu'ils mettent dessus le nom qu'ils veulent : hypocondrie, neurasthénie, inconstance. Moi, je suis arrivé à un pacte avec moi-même et c'est pour cela que je l'appelle désespoir. C'est le moment, j'en suis sûr, parce que je ne suis ni heureux, ni désespéré. Je suis, comment dire, juste tranquille. Non, encore une fois, je me leurre. Je suis horriblement tranquille. Oui, c'est plutôt ça.

mercredi 9 février 2011

La uña, Max Aub

Querida mujercita mía,
Siempre me dices que te cuente cosas de mis viajes. Créeme, esto es lo más tonto del mundo; todos los puertos son iguales y, na­turalmente, todos los países son los mismos; si no fuese por la lejanía que me separa de ti, me figuraría estar en nuestro puerto y surcando nuestro mar cons­tantemente; hace más calor, hace más frío, según; pero eso también lo tenéis vosotros naturalmente, sin moveros, con el invierno y el verano, no como noso­tros, que parece que nos los vayamos fabricando a placer.
El no poder vivir contigo en nuestra casa, es lo que me hace notar las distancias; miro el mapa y me digo; estoy a tantas horas de las zapatillas rojas con bordados negros, que me regalaste para mi san­to, hace dos años. Pero, referente a cuanto me pre­guntas acerca de impresiones nuevas, te repito que todo es igual a nuestro puerto y a nuestro mar. Lo demás, querida, son historias.

Ma chère petite femme,
Tu me demandes toujours de te raconter mes souvenirs de voyage. Crois-moi, il n'y a rien de plus inintéressant. Tous les ports se ressemblent et, par conséquent, tous les pays sont les mêmes. Si ce n'était la distance qui me sépare de toi, je m'imaginerais dans notre port, sillonnant sans cesse les flots de notre mer. Il fait plus chaud, il fait plus froid, c'est selon ; mais vous aussi, sans vous déplacer, avec l'hiver et l'été, tout naturellement vous avez la même chose, contrairement à nous qui créons, semble-t-il, les saisons à notre fantaisie.
Le fait de ne pouvoir vivre à tes côtés dans notre maison, voilà ce qui me fait ressentir l'éloignement. Je regarde la carte du monde et je me dis : « Je suis à des heures de ces chaussures rouges ornées de noir que tu m'as offertes pour ma fête, il y a deux ans ».
Mais, en ce qui concerne tes questions au sujet de mes impressions nouvelles, je te répète que tout est identique à notre port et à notre mer. Le reste, chérie, ce sont des histoires.

lundi 7 février 2011

Las aventuras del capitán Morris, Adolfo Bioy Casares

Morris no tenía miedo ; tal vez si hubiera conocido el miedo se hubiera defendido mejor. Afortunadamente, le interesaban las mujeres, "y usted sabe cómo les gusta agrandar los peligros y lo cavilosas que son". La otra vez la enfermera le había tomado la mano para convencerlo del peligro que lo amenazaba; ahora Morris la miró en los ojos y le preguntó el significado de la confabulación que había contra él. La enfermera repitió lo que había oído: su afirmación de que el 23 había probado el Breguet en El Palomar era falsa; en El Palomar nadie había probado aeroplanos esa tarde. El Breguet era de un tipo recientemente adoptado por el ejército argentino, pero su numeración no correspondía a la de ningún aeroplano del ejército argentino. "¿Me creen espía?", preguntó con incredulidad. Sintió que volvía a enfurecerse. Tímidamente, la enfermera respondió: "Creen que ha venido de algún país hermano." Morris le juró como argentino que era argentino, que no era espía; ella pareció emocionada, y continuó en el mismo tono de voz : "El uniforme es igual al nuestro ; pero han descubierto que las costuras son diferentes." Agregó : "Un detalle imperdonable", y Morris comprendió que ella tampoco le creía. Sintió que se ahogaba de rabia, y, para disimular, la besó en la boca y la abrazó.

Morris n'avait pas peur. S'il avait connu la peur, peut-être se serait-il mieux défendu. Par chance, les femmes l'intéressaient, « et vous savez bien comme elles aiment exagérer les dangers et comme elles s'inquiètent à outrance ». L'autre jour, l'infirmière lui avait pris la main pour le convaincre du danger qui planait sur lui. Aujourd'hui, Morris la regarda dans les yeux et lui demanda ce que signifiait ce complot contre sa personne. L'infirmière lui répéta ce qu'elle avait entendu : son affirmation selon laquelle le 23, il était monté à bord du Breguet à El Palomar était fausse ; cette après-midi là, aucun avion n'avait effectué de vol. Le Breguet faisait partie d'un modèle récemment adopté par l'armée argentine, mais sa numérotation ne correspondait à celle d'aucun avion de cette même armée. « Croient-ils que je suis un espion ? » lui demanda-t-il, incrédule. Il sentit que la fureur le gagnait de nouveau. Timidement, l'infirmière répondit : « Ils pensent que vous venez d'un pays allié ». Morris lui jura, comme argentin, qu'il était argentin, qu'il n'était pas un espion. Elle parut émue, mais poursuivit sur le même ton : « L'uniforme est le même que le nôtre, mais ils ont découvert que les coutures étaient différentes ». Elle ajouta : « Un détail impardonnable », Morris comprit alors qu'elle non plus ne le croyait pas. Il sentit la colère l'étouffer et, pour le dissimuler, il l'embrassa sur la bouche et l'étreignit.

samedi 5 février 2011

El fin de la locura, Jorge Volpi

La historia de su crimen posee una economía dramática ejemplar. Imaginemos la escena: en una típica casa burguesa de provincias, la estricta señora Lancelin y su hija Géneviéve pasan la tarde bordando pañuelos o jugando a las cartas; en el otro extremo de la propiedad, sus dos sirvientas, pulcras y uniformadas, bregan con sus propias labores: mientras Christine plancha la ropa —nadie deja los corpinos tan bien almidonados como ella—, la pequeña Lea pliega las prendas y las coloca en las gavetas de sus amas. La previsible rutina se quiebra de pronto cuando uno de los apagones que con tanta frecuencia se producen en la zona sumerge la casa de la señora Lancelin en una tiniebla violenta y azulosa. Como una señal acordada —esa imprevista oscuridad es la llamada al reino de la insania—, Christine se transforma en un ángel de venganza, en una parca, en la irracional ejecutora de un dios enloquecido.

L'histoire de son crime jouit d'une économie dramatique exemplaire. Imaginons la scène. Dans une maison bourgeoise de province des plus typiques, la sévère madame Lancelin et sa fille Géneviéve passent l'après-midi à broder des mouchoirs ou à jouer au cartes, alors qu'à l'autre extrémité de la demeure, leurs deux employées de maison, parfaitement soignées dans leurs uniformes, se consacrent aux travaux qui sont les leurs : pendant que Christine repasse le linge –-personne n'amidonne mieux les bustiers–-, la jeune Lea plie les vêtements et les range dans les tiroirs de ses maîtresses. La prévisible routine se brise lorsque, soudainement, une de ces pannes d'éléctricité, si fréquentes dans cette zone, plonge la maison de madame Lancelin dans de violentes ténèbres bleutées. Comme s'il s'agissait d'un signal convenu –-cette obscurité imprévue étant l'invitation au royaume de l'insanité–- Christine se transforme en un ange de vengeance, en une Parque, en l'exécutrice irrationnelle d'un dieu déchaîné.

mercredi 2 février 2011

El pintor de batallas, Arturo Pérez-Reverte

Nadó ciento cincuenta brazadas mar adentro y otras tantas de regreso, como cada mañana, hasta que sintió bajo los pies los guijarros redondos de la orilla. Se secó utilizando la toalla que estaba colgada en el tronco de un árbol traído por el mar, se puso camisa y zapatillas, y ascendió por el estrecho sendero que remontaba la cala hasta la torre vigía. Allí se hizo un café y empezó a trabajar, sumando azules y grises para definir la atmósfera adecuada. Durante la noche -cada vez dormía menos, y el sueño era una duermevela incierta- había decidido que necesitaría tonos fríos para delimitar la línea melancólica del horizonte, donde unaclaridad velada recortaba las siluetas de los guerreros que caminaban cerca del mar. Eso los envolvería en la luz que había pasado cuatro días reflejando en las ondulaciones del agua en la playa mediante ligeros toques de blanco de titanio, aplicado muy puro. Asdí que mezcló, en un frasco, blanco, azul y una mínima cantidad de siena natural hasta quebrarlo en un azul luminoso. Después hizo un par de pruebas sobre la bandeja de horno que usaba como paleta, ensució la mezcla con un poco de amarillo y trabajó sin detenerse durante el resto de la mañana. 

Il nagea, comme chaque matin, cinquante brasses vers le large et autant pour le retour, jusqu'à sentir sous ses pieds les galets ronds du bord de mer. Il utilisa pour se sécher la serviette accrochée à un tronc d'arbre emporté par la mer, revêtit une chemise et une paire de chaussures, et emprunta l'étroit sentier en pente qui montait de la crique jusqu'à la tour de guet. Là, il se fit un café et commença à travailler, mélangeant bleus et gris afin de définir l'atmosphère adéquate. Pendant la nuit, où il dormait de moins en moins, le sommeil n'étant autre qu'un repos incertain, il avait décidé qu'il aurait besoin de tons froids pour délimiter la ligne mélancolique de l'horizon, où une clarté voilée découpait les silhouettes des guerriers marchant près de la mer. Cela permettrait de les envelopper dans la lumière qu'il s'était efforcé à déposer pendant quatre jours sur les ondulations de l'eau en bord de mer, grâce à de légères touches de blanc de titane, appliquées finement. Aussi mélangea-t-il dans un pot du blanc, du bleu et une infime quantité de sienne naturelle jusqu'à obtenir un bleu lumineux. Après quelques tests sur la plaque de four qui lui servait de palette, il ajouta au mélange une touche de jaune et travailla sans relâche tout le reste de la matinée.

samedi 29 janvier 2011

El maestro de esgrima, Arturo Pérez-Reverte

Antes de salir de casa se había acicalado con esmero, resuelto a causar buena impresión en la que, sin duda, era madre de un futuro alumno. Al llegar a la puerta se arregló cuidadosamente la corbata, golpeando después la pesada aldaba de bronce que pendía en las fauces de una agresiva cabeza de león. Extrajo el reloj del bolsillo del chaleco y consultó la hora : siete menos un minuto. Aguardó, satisfecho, mientras escuchaba el sonido de unos pasos femeninos que se acercaban por un largo pasillo. Tras un rápido correr de cerrojos, el rostro agraciado de una doncella le sonrió bajo una cofia blanca. Mientras la joven se alejaba con su tarjeta de visita, entró don Jaime en un pequeño recibidor amueblado con elegancia. Las persianas estaban bajas y por las ventanas abiertas se oía el rumor de los carruajes que circulaban por la calle, dos pisos más abajo. Había testeros con plantas exóticas, un par de buenos cuadros en las paredes y sillones ricamente tapizados en terciopelo de seda carmesí. Pensó que se las iba a ver con un buen cliente, y ello le hizo sentirse optimista. No estaba de más, habida cuenta de los tiempos que corrían.
La doncella regresó al cabo de un momento para rogarle que pasara al salón tras hacerse cargo de sus guantes, bastón y chistera. La siguió por la penumbra del pasillo. La sala estaba vacía, así que cruzó las manos a la espalda e hizo un breve reconocimiento de la estancia. Deslizándose entre las cortinas semiabiertas, los últimos rayos del sol poniente agonizaban despacio sobre las discretas flores azul pálido que empapelaban las paredes. Los muebles eran de extraordinario buen gusto ; sobre un sofá inglés campeaba un óleo de firma, mostrando una escena dieciochesca : una joven vestida de encajes se columpiaba en un jardín, mirando expectante por encima del hombro, como si aguardase la inminente llegada de alguien muy deseado. Había un piano con la tapa del teclado abierta y unas partituras en el atril. Se acercó a echar un vistazo : Polonesa en fa sostenido menor. Federico Chopin. Sin duda, la poseedora del piano era una dama enérgica.

Avant de quitter la maison, il s'était pomponné avec soin, résolu à causer une bonne impression à celle qui, sans doute, était la mère d'un futur élève.
Arrivé devant la porte, il arrangea méticuleusement sa cravate, et frappa ensuite le lourd heurtoir de bronze suspendu à la gueule d'une agressive tête de lion. Il sortit de la poche de son veston sa montre et regarda l'heure : sept heures moins une minute. Satisfait, il attendit pendant que le bruit de pas féminins s'approchant dans un long couloir se faisait entendre. Après que la porte se fut rapidement déclose, le charmant visage d'une demoiselle orné d'une coiffe blanche lui sourit. Alors que la jeune femme s'éloignait, munie de la carte de visite, don Jaime entra dans un petit vestibule meublé avec élégance. Les persiennes avaient été baissées, et par les fenêtres ouvertes, on entendait le brouhaha des coches circulant dans la rue, deux étages plus bas. Des pots de fleurs abritant des plantes exotiques, deux beaux cadres accrochés au mur et des fauteuils richement habillés de velours de soie couleur carmin occupaient l'espace. Il pensa avoir affaire à un bon client et il s'en réjouit. Cela ne ferait pas de mal en ces temps qui couraient.
Au bout d'un certain moment, la demoiselle revint, et après l'avoir débarrassé de ses gants, de sa canne et de son chapeau haut de forme, elle le pria de passer au salon. Il la suivit dans l'obscurité du couloir. La salle était vide, il croisa les mains derrière le dos et fit une brève inspection de la pièce. Les derniers rayons du soleil se glissaient entre les rideaux à moitié fermés et venaient agoniser lentement sur les discrètes fleurs bleu ciel qui revêtaient les murs. Les meubles étaient d'un bon goût extraordinaire. Au dessus d'un sofa anglais, une peinture à l'huile signée, représentant une scène du XVIIIème siècle, resplendissait : une jeune fille habillée de dentelle faisait de la balançoire dans un jardin, observant avec expectation par dessus son épaule, comme si elle attendait l'arrivée imminente d'une personne vivement désirée. Un piano était là, le couvercle du clavier ouvert, des partitions sur le pupitre. Il s'approcha pour y jeter un coup d'œil : Polonaise en fa dièse mineur. Frédéric Chopin. La propriétaire du piano était, sans aucun doute, une femme énergique


jeudi 27 janvier 2011

Description d'une cerise

L'ensoleillement sans précédent de ce printemps 1872 avait rapidement effacé sa douce fleur blanche au coeur d'or, dont les pétales, bercées par une brise tiède, avaient flotté quelques minutes dans les rues désertes de Gerland avant d'atterrir sur les eaux calmes du Rhône. De cette blanche enveloppe qui avait annoncé sa naissance, elle n'avait conservé que son berceau de sépales au sein duquel elle s'était silencieusement développée pendant les premiers jours du mois de mai. À travers l'ombre du feuillage, elle s'était peu à peu libérée de ce cocon de verdure qui avec le temps était devenu trop étroit et avait offert au soleil printanier son premier visage. Elle était encore trop jeune, trop dure et trop amère pour être offerte à des papilles avides de plaisir, mais elle pouvait compter sur une exposition parfaite, un léger ombrage et une température idyllique pour s'épanouir pleinement et devenir ce petit coeur charnu qu'un passant gourmand viendrait croquer avec délectation. Autour de sa candide graine, un corps voluptueux se développait jour après jour et sa robe vermeille, dans sa jeunesse fade et terne, aujourd'hui dépoussiérée par une brise cajolante, brillait innocemment. Ce juvénile fruit ne connaissait pas encore le destin particulier que lui avait réservé la vie mais, suivant l'exemple de ses innombrables voisines, elle s'efforçait de se rendre la plus alléchante et la plus désirable afin d'être cueillie par un être qui transporterait sa frêle graine loin de son berceau originel. Elle s'offrait aujourd'hui dans toute sa beauté : son habit, d'une profonde couleur rouge aux sombres reflets, ne demandait qu'à être caressé par des mains humaines, sa chaire, débordante de générosité, était obsédée par la pensée d'une paire d'incisives mettant à nu son corps lascif et libérant les saveurs les plus profondes qu'elle avait à offrir.
C'est par une fraîche matinée de juin qu'un homme, Léonard Burlat, alors soldat en garnison dans le régiment d'artillerie de Lyon, vint à passer à ses côtés. La vue de ce sensuel fruit, révélé dans toute sa pureté et son ingénuité, provoqua chez le garçon une soudaine salivation et, obsédé par ce globe charnel, il ne put s'empêcher de tendre la main vers elle. Malgré le sauvage désir qui habitait le jeune militaire de sentir cette naïve chair se promener sur sa langue, le fruit fut détaché par une délicate caresse et un léger craquement annonça sa libération tant désirée. Elle fut placée au creux de sa main moite, écrin naturel qu'elle avait convoité pendant toute sa vie et, exposée au regard impudique de son amant, elle s'était sentie fondre. Elle avait été transportée jusqu'aux lèvres fleuries de son premier et dernier compagnon et dans un mouvement ferme et autoritaire de ses incisives, elle avait succombé au désir, offrant au palais de son adorateur les douceurs infinies que sa charnure laissait transparaître.

dimanche 23 janvier 2011

Lausana, Antonio Soler

Papa me contó que el Fresador Vila había salido de Málaga en 1937. Su padre era un fotógrafo comunista que, asustado por las barbaridades que pudieran cometer las tropas africanas al entrar en la ciudad, había montado en un carro, del que él mismo iba a tirar, un par de colchones enrollados, varios atillos de ropa, una caja de hierro con su material fotográfico, y a su hijo Jesús, que apenas tendría unos cinco o seis años y que salió de Málaga con los ojos abiertos de par en par, cubierto por una especie de abrigo de astracán y una misteriosa gorra de plato demasiado grande y que podría abarcar dos cabezas como la suya. Así lo fotografió su padre frente a las playas de El Palo el día que salían de la ciudad.
Despavorido pero serio, con un cierto aire soviético.
Le Petit Bolchevique.
Todavía conservamos esa foto que desde que la vi por primera vez ya era de color sepia y tenía los bordes comidos. A mí, ni entonces ni nunca después, me habló Jesús de aquel éxodo por la costa mediterránea, desde Málaga hasta Almería, su padre tirando del carro, volcado hacia delante, y su madre agarrada a una cuerda que colgaba de la parte trasera, como si de pronto se hubiera quedado ciega. (...)
Era a Papa a quien le contaba sus recuerdos difusos de entre los que sobresalían algunas imágenes nítidas, como su padre avanzaba entre una multitud cargada con las cosas más extrañas y que caminaba con las tropas republicanas, y como aquella gente se convertía en un hormiguero alocado, roto por el zapato de un niño, cuando a lo lejos se oía el zumbido de los aviones franquistas.

Papa m'a raconté que le Fraiseur Vila était sorti de Malaga en 1937. Son père était un photographe communiste qui, effrayé par les atrocités que pourraient commettre les troupes africaines en entrant dans la ville, avait installé dans une charrette, qu'il allait lui-même tirer, deux matelas enroulés, plusieurs balluchons de vêtements, une boîte en fer contenant son matériel de photos, ainsi que son fils Jesús, qui avait cinq ou six ans à peine et qui sortit de la ville les yeux grand ouverts, habillé d'une espèce de manteau d'astrakan et d'un mystérieux béret trop grand qui aurait pu recouvrir deux têtes comme la sienne. C'est comme cela que l'a photographié son père, face aux plages de El Palo, le jour où ils sont sortis de la ville.
Épouvantés, mais sereins, avec un petit air soviétique. Le Petit Bolchévique.
Nous conservons encore cette photographie qui, la première fois où je l'ai vu, était déjà de couleur sépia et avait les côtés rognés. Ni à cette époque, ni jamais par la suite, Jésus n'a parlé avec moi de cet exode le long de la côte méditerranéenne, de Málaga à Almería, son père menant la charrette, penché vers l'avant, et sa mère accrochée à une corde attachée à l'arrière du véhicule, comme si elle était devenue soudainement aveugle. (...)
C'était à Papa qu'il racontait ses souvenirs flous d'entre lesquels émergeaient quelques images nettes : comment son père avançait au milieu d'une foule chargée des choses les plus étranges et marchait avec les troupes républicaines ou bien comment cette multitude se transformait en une fourmilière affolée, détruite par la chaussure d'un enfant, lorsque se faisait entendre, au loin, le vrombissement des avions franquistes.

vendredi 21 janvier 2011

Luna azul, Francine L. Zapater

Llegamos tarde a la primera clase. “Genial” pensé. El primer día de curso y ya estábamos ganándonos la simpatía del profesor de química, el señor Morganson. Definitivamente hoy no debería haberme levantado. 
Dejó de hablar cuando entramos en clase, acompañándonos con su rabiosa mirada, mientras esperaba a que tomáramos asiento en nuestros respectivos pupitres, acrecentando así la vergüenza que ya me invadía en esos momentos. Sentía una docena de pares de ojos posados sobre nosotras.
— Esto es peor que tu flequillo — susurré a mi amiga mientras
sacábamos nuestros libros y los colocábamos encima de las gastadas y garabateadas mesas. Notaba mi cara enfebrecida, estaba roja como un tomate. Odiaba ser el centro de atención, pero hoy iba a ser difícil pasar desapercibida después de nuestra entrada triunfal. Tarde y con Beth a mi lado, luciendo el escandaloso pañuelo en tonos fucsia, amarillo y naranja, que le había prestado. Al final, esa había sido la mejor solución al problema de la maraña de pelo de mi amiga. Aunque ella ahora estaba encantada.

 
On est arrivées en retard au premier cours. « Gé-nial », je me suis dit, le tout premier jour de classe et déjà on s'attire la sympathie du professeur de chimie, monsieur Morganson. Je n'aurais définitivement pas dû sortir du lit aujourd'hui.
Quand on est entrées en classe, il s'est arrêté de parler et, tout en posant sur nous un regard hargneux, il a attendu qu'on prenne place à nos pupitres respectifs. Cela n'a fait que multiplier la honte qui m'envahissait à ce moment là. Je sentais une douzaine de pairs d'yeux qui se fixaient sur moi.
- Ça, c'est bien pire que ta mèche – susurrai-je à mon amie, pendant qu'on sortait nos livres et qu'on les déposait sur les vieilles tables toutes gribouillées.
Je sentais que ma tête me chauffait et que j'étais rouge comme une tomate. J'avais horreur d'être le centre d'attention mais aujourd'hui ça allait être dur de passer inaperçue après notre entrée triomphale : en retard et avec Beth, arborant le scandaleux fichu fuchsia, jaune et orange que je lui avais prêté. A vrai dire, c'était la meilleure solution qu'on avait trouvé pour pallier au problème de la coupe de cheveux de mon amie. Mais alors elle, de son côté, elle en était ravie.
 

jeudi 20 janvier 2011

Biblioteca de los sueños, Francisco Agenjo

Las horas pasaron, y el candil iba perdiendo el combustible que le quedaba. El frío iba calando en sus huesos, hasta el punto de que Fraimundo ya comenzaba a sentir escalofríos. El sonido del viento golpeando las contraventanas tampoco ayudaba en lo más mínimo a serenar sus ánimos. Otras referencias al diablo y a hechos sobrenaturales no le dieron ninguna pista del origen de la Rosa Negra ni de los hechos referentes a la Hermana Saura. Sin embargo, sí encontró una entrada en un texto, escrita a mano por lo que parecía la letra de un hombre, que hacía hincapié en un cubículo oculto tras una estantería. Más picado por la curiosidad que por poder descubrir algo, Fraimundo corrió lo más silenciosamente que pudo la estantería cargada de libros y dejó al descubierto un mapa antiguo de Xatafi de aspecto medieval. Tras él, un hueco en la pared ocultaba varios pergaminos y misivas de los monjes y hermanas del Cerro. Algunos libros compartían el oscuro espacio con ellos, ero la mayor sorpresa fue encontrar una carta de la hermana Saura enviada al prior de la orden. En ella decía que había descubierto una extraña rosa negra que, leyendo algunos textos antiguos, parecía estar relacionada con asesinatos y hechos misteriosos durante varios períodos a lo largo de la historia del Cerro de los Ángeles. Detrás de esta carta, unidas por un clip, había otra de respuesta del prior que decía que semejante muestra de temor sobrenatural y antirreligioso no debía repetirse, y la reprendía por dejarse llevar por miedos impuros. Por último, también dentro del paquete, había una segunda carta de la Hermana Saura. El texto que en ella había escrito le puso los pelos de punta. “He seguido investigando. A quien lea esto, espero que le sirva de justificación por lo que voy a hacer, aunque ahora mismo sólo espero poder librar a mis hermanas del fin que el destino les ha impuesto. No he podido encontrar referencias al Diablo en ninguno de los textos que he consultado, sólo a poderes que van más allá de lo humano, lo divino o lo demoníaco. La oscuridad misma parece haber puesto un pie aquí, y cada cierto tiempo, reclama el precio del peaje que todos pagamos en la vida. Creo que todos hemos perdido ya nuestra alma, y la única forma de que mis hermanas la recuperen es que yo entregue mi vida por ellas. La primera persona que la vio.

Les heures passèrent et la lampe à huile perdait petit à petit le combustible qui lui restait. Le froid transperçait ses os, à tel point que Fraimundo commençait déjà à frissonner. Le bruit du vent frappant les contre-fenêtres ne l'aidait nullement à calmer ses esprits. D'autres références au diable et à des événements surnaturels ne lui fournirent aucune piste, ni sur l'origine de la Rose Noire, ni sur les événements faisant référence à la Sœur Saura. Néanmoins, il trouva tout de même un indice dans un texte rédigé à la main, avec, semble-t-il, une écriture masculine, qui mettait l'accent sur une pièce cachée derrière une étagère. Davantage piqué par la curiosité que par la possibilité de découvrir quoi que ce soit, Fraimundo fit glisser le plus silencieusement possible l'étagère chargée de livres et mit à jour une carte ancienne de Xatafi à l'aspect médiéval. Derrière celle-ci, un renfoncement dans le mur renfermait plusieurs parchemins et des missives des moines et des sœurs du Cerro. Quelques livres partageaient l'obscure cachette avec ces premiers, mais la plus grande surprise fut de trouver une lettre de la sœur Saura envoyée au prieur de l'Ordre. Il y était annoncé qu'elle avait découvert une étrange rose noire qui, à la lecture de certains textes anciens, semblait être en relation avec des assassinats et des événements mystérieux survenus pendant de nombreuses périodes, tout au long de l'histoire du Cerro de los Ángeles. Derrière la carte, attachée par un trombone, il y avait une lettre de réponse du prieur exigeant qu'une telle démonstration de peur surnaturelle et antireligieuse ne devait, en aucun cas, se répéter ; il la réprimandait pour s'être laissée emporter par des craintes impures. Enfin, à l'intérieur du paquet elle aussi, on trouvait une deuxième lettre de la Sœur Saura. Le texte qu'elle y avait écrit lui donna la chair de poule. « J'ai poursuivi mes recherches. J'espère que celui qui lira ceci y trouvera la justification de mes actes, bien que je ne souhaite désormais que libérer mes sœurs de la destinée qui leur a été imposée. Je n'ai trouvé aucune allusion au Diable dans les textes que j'ai consultés, seulement des références sur des forces qui vont bien au-delà de l'humain, du divin ou du démoniaque. L'obscurité même semble avoir posé un pied ici, et à des momets précis, elle réclame le prix du péage que, tous, nous payons dans la vie. Je crois que nous avons tous déjà perdu notre âme, et le seul moyen pour que mes sœurs la récupèrent, c'est que je livre ma vie pour elle. Moi, la première personne qui la vit.

mercredi 19 janvier 2011

La Sombra del Viento, Carlos Ruiz Zafón

La habitación estaba infestada de crucifijos. Pendían de la techumbre, ondeando del extremo de cordeles, y cubrían las paredes fijados con clavos. Se contaban por decenas. Podían intuirse en los rincones, grabados a cuchillo en los muebles de madera, arañados en las baldosas, pintados en rojo sobre los espejos. Las pisadas que llegaban hasta el umbral de la puerta trazaban un rastro en el polvo en torno a una cama desnuda hasta el somier, apenas ya un esqueleto de alambre y madera carcomida. En un extremo de la alcoba, bajo la ventana del tragaluz, había un escritorio de consola cerrado y coronado por un trío de crucifijos de metal. Lo abrí cuidadosamente. No había polvo en las junturas del fuelle de madera, con lo que supuse que el escritorio había sido abierto no hacía mucho. El escritorio tenía seis cajones. Los cierres habían sido forzados. Los inspeccioné uno a uno. Vacíos.
Me arrodillé frente al escritorio. Palpé con los dedos los arañazos en la madera. Imaginé las manos de Julián Carax trazando aquellos garabatos, jeroglíficos cuyo sentido se había llevado el tiempo. En el fondo del escritorio se adivinaba una pila de cuadernos y una vasija con lápices y plumas. Tomé uno de los cuadernos y lo ojeé. Dibujos y palabras sueltas. Ejercicios de cálculo. Frases sueltas, citas de libros. Versos inacabados. Todos los cuadernos parecían iguales. Algunos dibujos se repetían página tras página, con diferentes matices. Me llamó la atención la figura de un hombre que parecía hecho de llamas. Otra describía lo que hubiera podido ser un ángel o un reptil enroscado en una cruz. Se adivinaban esbozos de un caserón de aspecto extravagante, tramado de torreones y arcos catedralicios. El trazo mostraba seguridad y cierto instinto. El joven Carax mostraba las trazas de un dibujante de cierto talento, pero todas las imágenes se quedaban en esbozos.

La pièce était infestée de crucifix. Ils pendaient au plafond, se balançant au bout de cordes, et recouvraient les murs, fixés par des clous. On en contait par douzaines. On pouvait en deviner cachés dans les coins, ciselés au couteau dans le bois des meubles, gravés sur les carreaux, peints en rouge sur les miroirs. Des traces de pas, qui menaient jusqu'au seuil de la porte, avaient laissé dans la poussière des empreintes tout autour d'un lit dénudé ; même le sommier n'était rien d'autre qu'un squelette de fer et de bois vermoulu. Sur un des côtés de la chambre, sous la lucarne, se trouvait un secrétaire fermé, orné de trois crucifix de fer. Je l'ouvris précautionneusement. Il n'y avait pas de poussière sur les jointures de l'ouverture principale du meuble ; j'en conclus donc qu'on l'avait fouillé il y avait peu. Le secrétaire comptait six tiroirs. Les serrures avaient été forcées. Je les inspectai un par un. Vides.
Je m'agenouillai devant le meuble. Je passai mes doigts sur les gravures laissées dans le bois. J'imaginai les mains de Julián Carax dessinant ces gribouillages, ces hiéroglyphes dont la signification avait été emportée par le temps. Dans le fond du secrétaire, on devinait une pile de carnets et un pot rempli de plumes et de crayons. Je saisis un des cahiers et le feuilletai. Des dessins et des mots solitaires. Des exercices de mathématiques. Des phrases isolées, des citations de livres. Des vers inachevés. Tous les cahiers paraissaient identiques. Certains croquis se répétaient page après page, avec, néanmoins, des nuances distinctes. Le portrait d'un homme qui semblait constitué de feu attira mon attention. Un autre représentait ce qui aurait pu être un ange ou un reptile enroulé autour d'une croix. On discernait aussi les esquisses d'une demeure aux allures extravagantes, dominée par de grandes tours et des arches tout droit sorties de cathédrales. Le coup de crayon manifestait de la sécurité et un certain instinct. Le jeune Carax montrait tous les signes d'un dessinateur talentueux, mais aucun des ses travaux ne dépassaient le stade d'esquisse.


mercredi 12 janvier 2011

À travers les yeux de mon chat


Alors que la vie abandonne progressivement chaque centimètre de mon corps, moi qui n'ai jamais écris une lettre à personne, je ressens le besoin, aujourd'hui, de laisser au triste monde le témoignage de mon existence, aussi insignifiante soit elle. Cette lettre qui ne sera peut être jamais lue sera la première et la dernière à contenir mes mots, la voici :

Je suis sortie du ventre maternel lors de l'exil provoqué par la guerre et ma mère, qui est restée pour moi toutes ces années une inconnue, m'a laissée, après m'avoir mise au monde, au bon soin des religieuses du couvent de Sommedieu. La guerre l'y a poussée et je ne lui en ai jamais voulu. Les quelques témoignages des survivants que j'ai pu entendre au cours de ma vie m'ont fait rapidement comprendre qu'elle y avait été forcée et j'imagine que c'est à contrecoeur, désirant offrir à son enfant un avenir meilleur, qu'elle l'a fait.
Les religieuses qui m'ont recueillie m'ont élevée comme elles le pouvaient et avec les moyens dont elles disposaient. Elles ont pris soin de moi toute mon enfance et, entre les prières et les messes, elles m'ont appris à lire, à écrire et à compter, apprentissage que toutes les femmes de ma génération n'ont pas eu la chance de recevoir. Je garde de cette époque un souvenir impérissable. Les jours défilaient, partagés entre l'austérité du cloître et les fous rires étouffés des dortoirs, les saisons s'enchaînaient offrant à nos yeux ébahis un spectacle qui nous ravissait et les années de mon enfance coulaient aussi paisiblement qu'un mince ruisseau dans la plaine. À l'âge de 16 ans, les sœurs m'ont proposé de revêtir la soutane pour le restant de mes jours : j'ai, sans hésitation aucune, refusé. J'ai laissé derrière moi les visages ruisselants de larmes de mes amies, fuit le cloître rassurant qui m'avait vu grandir et abandonné la paisible serenité qui émanait de la campagne environnante. Moi qui n'avait rien connu d'autre que ces murs de pierre vieux de six cents ans, je ne pouvais concevoir l'idée d'y demeurer enfermée jusqu'à ma mort. Et c'est avec mon maigre savoir et un léger bâluchon sur l'épaule que j'ai parcouru, tantôt à pied, tantôt en train, les nombreux kilomètres qui me séparaient alors de ma destination : Paris. C'est le coeur joyeux que je suis entrée dans la capitale le 17 juillet 1933, à trois heures de l'après-midi. La ville, alors en pleine effusion, s'efforçait d'oublier les atrocités de la guerre en se jetant à corps perdu dans la musique et la danse. Cette gaieté sans limite qu'elle exhalait m'a immédiatement envoutée. Des milliers et des milliers de gens flottaient chaque jour dans ses rues et, à mon plus grand bonheur, j'en faisais partie. J'ai parcouru ses artères, visité chaque recoin de son squelette, voyagé sur son corps et chevauché sa peau jusqu'à l'épuisement, mais cette innocente insouciance de jeune fille fraîchement débarquée a rapidement pris fin quand mon maigre bagage s'est trouvé vide. La chance, qui jusque ici ne m'avait pas particulièrement souri, a alors daigné m'apparaître et c'est en sonnant à l'hôtel particulier de la famille Viraut, sur le boulevard Saint-Martin, que je l'ai rencontrée : elle et un poste de bonne m'y attendaient. J'y ai travaillé près de 40 ans. J'y vivais, certes, assez chichement, mais j'avais trois fois par jour de la nourriture dans mon assiette, et le soir un lit confortable où m'endormir. À la mort de ma maîtresse, son fils, un homme cynique et arriviste, n'a pas daigné me garder à son service et c'est avec un mélange de tristesse et d'amertume que j'ai dû quitter le toit qui m'avait protégé pendant ces longues années. J'ai réussi à vivre tant bien que mal en continuant à me mettre à disposition des gens que la fortune avait favorisés jusqu'à ce que mon corps, las de ces réveils à l'aurore, de ces journées sans fin et de ces nuits trop courtes, me fasse comprendre mon âge.
Je ne me suis jamais mariée, mais j'ai cependant eu l'occasion de découvrir plusieurs fois, trop volatilement à mon goût, le bonheur d'avoir un homme à mes côtés. Blonds, bruns et châtains se sont succédés, riches et pauvres m'ont fait rire, grands et petits ont fait tanguer mon coeur mais aucun ne m'a cependant comblée au point que je veuille partager mon existence avec lui.
Je vis aujourd'hui mes derniers instants dans ce modeste appartement qui entendra mon dernier soupir, qui sentira sur ses murs mon dernier souffle et qui verra mon corps s'éteindre. Le seul être qui souffrira de mon absence ronronne à mes côtés et je lis dans ces yeux une tristesse silencieuse.

Rebondissement

Il n'était pas de ces sybarites qui, faisant fi des préceptes religieux, coqueliquaient à tout-va, s'adonnaient à la paillardise et jouaient allègrement avec leur vit. Sans toutefois ressentir de l'aversion ou quelconque forme de dégoût pour ces hommes à l'esprit primesautier et aux mœurs légeres, il ne savait, quant à lui, succomber aux formes, si généreuses soient-elles, de la première caillette venue.
Vivre à la cour en appliquant à la lettre la morale qui était la sienne et que certains hommes d'Église, baignant dans l'ignorance, auraient jugé exemplaire, n'était pourtant pas simple. Cette conduite, qu'on tiendrait bien volontiers pour honorable, engendrait quantité de caquetades et de clabauderies : des pelotes de mensonges, roulées par les dames de la Cour, rebondissaient jusque dans les faubourgs de Paris où le rouet des soubrettes, des alberguières et autres drolettes les grossissaient tant et tant. On trouvait, entremêlées dans les fibres de ces mensonges, nombre de coquecigrues et de billes vezées qui ébaudissaient aussi bien les grands nobles que les petites gens.
Il est vrai que l'homme était une source intarissable de commérages, tant pour les chattemites du Louvre que pour le peuple de la belle Paris. Son physique, que bien des muguets de cour lui enviaient, déclenchait dans les cœurs du gentil sesso d'ardentes passions que son indifférence n'était pas à même d'éteindre. Ses yeux vifs, d'un vert profond, sa bouche enfantine aux lèvres vermeil, son nez bourbonien et ses cheveux blonds bouclés, quotidiennement testonnés avec soin par sa fidèle chambrière, faisaient chavirer le cœur des garces. Mais peu chalaient au jeune homme les regards féminins qui se posaient sur lui.
En ses vertes années, il n'avait pourtant pas été sans baisser la garde une ou deux fois devant les œillades que les demoiselles du Louvre, assurées de leurs charmes, lancent à la dérobée. Toutefois, il se ramentevait que le temps avait amati l'éclat de ces yeux et avait recouvert du voile de la banalité ces doux visages. Aussi vivement que sûrement, il avait alors délaissé la mignotte et s'en était retourné en ses appartements.
Il s'apprêtait aujourd'hui à effectuer le voyage que tout homme se voit contraint, un jour, d'accomplir. La date de son département avait été avancée : les déguisements sous lesquels il se dissimulait, de la pique du jour à la tombée de la nuit, avaient fini par choir et le monde l'avait alors découvert tel qu'il était. Princes et ribaudes, harenguiers et pastourelles, tous l'avaient alors conspué et voué aux gémonies. Le lendemain de cette découverte, une demi douzaine d'archers avaient forcé l'entrée de ses appartements, l'avaient violemment extirpé des bras de Morphée et après l'avoir traîné, non sans un malin plaisir, dans les rues de la capitale, l'avaient embastillé. Sa condition de noble avait quelque peu assoupli le châtiment qui devait lui être infligé : certes, il échapperait à la hart, mais il ne pouvait point cependant se soustraire au sort que l'Église catholique réservait aux bougres.
Et alors que les flammes rougeoyantes dévoraient avidement le bûcher de bois sur lequel on l'avait placé, il enfouit dans la gibecière de sa mémoire l'image de ce jeune fol qu'il avait passionnément aimé.

Filet


Ma graine originelle, avalée par une oie du Canada avide de découvertes culinaires, aurait pu voyager très loin, mais c'est dans le parc Congaree que je débarquai.
Mon transporteur, gêné dans sa migration par un fardeau inutile, en l'occurrence moi, s'en était débarrassé en plein vol. Ma chute avait été longue et angoissante, mais la fiente, dont mon hôte avait su si gracieusement m'entourer, en atténua le choc.
C'est près d'une minuscule rivière que j'arrivai, et à ce même endroit je m'installai, profitant pour me nourrir les premiers jours de ce généreux excrément, dans lequel je puisais tous ce dont j'avais besoin. Le taux d'humidité locale correspondait parfaitement à la demande de mon organisme et je profitais chaque jour des rayons du soleil, les grands arbres et imposants végétaux étant, en raison de l'instabilité du sol, incapables de pousser en cette zone.
Après ma naissance chaotique et nauséabonde, c'est donc dans ce luxuriant marécage que mon séduisant corps s'épanouissait au fil des mois, provoquant, je le voyais bien, un ébahissement collectif aux alentours. Il faut dire que je n'étais pas de ces «All Green» ou de ces «Filiformis» dont les couleurs maussades et les proportions démesurées lassent, écœurent, et ce jusqu'à provoquer des réactions anatomiques innommables. Non ! Moi, je faisais parti de l'élégante élite, de la majestueuse minorité : j'étais une «Akai Ryu». Mes splendides atouts ne suscitaient qu'admiration et vénération de la part des végétaux voisins, la ligne verte qui habillait le bord extérieur de mes feuilles s'accordait à la perfection avec le rouge flamboyant de ma robe, mes dimensions étaient idylliques et mes formes, tout simplement, célestes.
Au mois de septembre, une fois que mon cycle de croissance annuelle prit fin, je dressai fièrement vers le ciel mes ravissantes feuilles. Il me fallut un certain temps avant que mes glandes sessiles ne se mettent à sécréter le nectar qui servirait d'appât, et l'énergie que je dus dépenser dans cette exsudation affecta quelque peu mes somptueuses couleurs. Si je voulais continuer à régner de par ma beauté sur les environs, il me fallait un apport rapide en azote.
La seule source susceptible de m'en fournir était cette infâme colonie de vilaines mouches noires, que l'on appelle communément «mouches à merde» et qui méritent amplement, je vous l'assure, cette scatophile appellation. La subtile fragrance qui se dégageait de mon nectar ne cessait, je le voyais, de démanger les papilles de ces abjects insectes et un beau matin, un de ces ridicules animaux, ignorant qui j'étais, vint se régaler de ma substance. Sans même remarquer mon ingénieuse autonomie, il toucha un de mes poils sensitifs. Le piège était en route et il ne restait plus beaucoup de temps à vivre à la pauvre créature. Comme il était à prévoir, un deuxième contact suivi et, inexorablement, mon piège se referma, emprisonnant le répugnant individu. Je laissai quelque peu entrouvertes mes feuilles afin de tâter ma proie et d'en vérifier la fraîcheur, les dents qui les ceinturaient empêchant la moindre fuite. Il fallait la voir se démener comme un folle furieuse, c'était tout bonnement ridicule. Telle un poisson pris dans un filet, elle s'agitait inutilement, elle remuait frénétiquement, ignorant qu'aucune échappatoire n'était possible.
Ayant considéré la viande comme assez savoureuse pour mon délicat organisme, je commençai à expulser mon acide et la chaire liquéfiée de la mouche se mit à couler vers mon appareil digestif, me procurant au passage, un plaisir intense. Les effets sur mon corps de cet apport en azote se firent sentir de suite. Les somptueuses couleurs qui avaient, l'espace d'un instant, abandonné mes feuilles revinrent s'y loger en une fraction de seconde et mes tiges qui s'étaient quelque peu affalées, suite aux efforts répétés, de nouveau s'érigèrent vers le ciel.
Comme un merveilleux alchimiste, j'avais transformé la bête la plus vile, la plus détestable et la plus sordide en la créature la plus admirable : moi !

lundi 10 janvier 2011

Saut de Grenouille

Le lever à cinq heures, le visage gonflé de sommeil, le petit déjeuner avalé sans un mot, les dix kilomètres sur les routes défoncées dans la vieille AX. Je n'ai pas le choix : ce rituel hebdomadaire s'est imposé à moi. Cette randonnée sanguinaire dans le petit matin, cette chasse à l'animal innocent, ce retour aux racines les plus cruelles de l'être humain. Je voudrais prendre mes jambes à mon cou, mais le regard froid de mon père m'ordonne silencieusement de le suivre sans contester.
Le 13 mai, j'ai eu 16 ans. Je voulais des livres, j'ai eu un fusil. J'aurais voulu de l'innocence, une porte ouverte à l'imagination, une échappatoire ; j'ai eu le droit à une arme, un permis de chasse et l'abject droit de tuer.
La lumière du matin me semble lugubre, les gouttes de rosée ne sont que le prémisse des gouttes de sang qui seront versées. Je devrais être plongé dans les bras de Morphée, et je serai bientôt plongé dans les viscères encore fumantes d'un animal inutilement sacrifié.
Ce spectacle matutinale aurait pu être plaisant : l'aube naissante, la nature au réveil, les premières lueurs du soleil sur la forêt bretonne ; malheureusement, mon père est là. Les bruissements de pas d'animaux dans les frondaisons, le clapotis des sauts insouciants des grenouilles et le joyeux chant clair des oiseaux champêtres ne peuvent détourner mon regard de l'assassin qui marche quelques mètres devant moi. Mes yeux se fixent sur son attirail de boucher : ces bottes en caoutchouc vert, ce treillis militaire ridicule, ce fusil de chasse en bandoulière ; tout cet accoutrement provoque en moi une nausée que je ne peux contenir. Mon père a entendu la réaction physique engendrée par le dégoût qu'il m'inspire, il se retourne et m'observe avec un dédain et une supériorité qu'il ne prend pas même la peine de feindre. J'essuie ma main recouverte de bile jaunâtre et visqueuse dans les roseaux et poursuit mon chemin. Pourquoi ce désir de tout saccager, pourquoi cette volonté de démontrer sa médiocre supériorité, pourquoi ce besoin d'écraser l'autre ?
C'est alors que l'illumination vient libérer mon esprit embrumé. Mécaniquement, mes mains décrochent le fusil de mon épaule et le placent en position, mon corps se fige et mon œil se fixe sur ma proie aux sabots de caoutchouc. Un coup de feu retentit dans la lumière du petit matin et ma victime s'écroule dans les hautes herbes.